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redoutable exemple. Dès le siècle précédent, on aurait pu citer un grand nom. Le chantre de la Genèse, le peintre inspiré des premiers jours de la terre et du ciel, Milton, qui n’était pas plus étranger à la théologie qu’à la politique, a fini par révéler au monde, dans un écrit retrouvé naguère, la croyance qui perçait dans son poème, et par confesser l’unité absolue d’Heloïm ou de Jehovah[1].

Les Anglais ont coutume de conserver à Locke comme à Milton une place parmi les défenseurs du christianisme, et ce n’est que rendre hommage à la sincérité qui respire dans le traité de la religion selon la raison et l’Écriture; mais Locke fut en même temps le grand promoteur de la tolérance. Ses lettres sur ce grave sujet, publiées la première en Hollande et les autres en Angleterre l’année même de la révolution, eurent pour objet, comme plusieurs de ses écrits, de seconder les vues généreuses de Guillaume III, et c’est, dit-on, pour le servir dans le projet d’un acte de compréhension qui eût réuni tous les cultes chrétiens, qu’il composa son livre fondamental du Christianisme raisonnable. En cela bien inspirée, l’église n’a point répudié cet important ouvrage, et des dissidens pleins de foi comme Leland l’opposaient avec confiance au déisme du XVIIIe siècle. Cependant, quand il eut paru, un docteur Edwards, théologien zélé, l’attaqua dans le Socinianisme démasqué, et força Locke à lui répondre. La réponse provoqua une réplique, et la réplique une seconde réponse. L’analogie des principes posés par Locke avec ceux qu’invoquait Toland dans son Christianisme sans mystère, et dont tirèrent parti quelques écrivains unitairiens, inspira des soupçons à Stillingfleet, contre lequel Locke fut défendu par le docteur Bold, et se défendit lui-même en se couvrant de l’autorité de Tillotson et des évêques de Bangor et d’Ely. Il y a certainement excès de défiance, injustice offensante à présenter Locke comme un adversaire de la révélation, quand il affirme qu’il ne l’est pas et quand il s’en porte le défenseur; mais sur la question de l’arianisme nous ne pouvons trouver son apologie suffisante. Il défie ses censeurs de prouver qu’il ait dit nulle part que le Messie ne fût pas au-dessus de l’homme. Et en effet il n’hésite même point à l’appeler le fils de Dieu, mais il ne s’explique pas pour cela sur la Trinité, je crois même qu’il n’en prononce pas le nom, et dans un traité général et dogmatique cette omission vaut un aveu. Il dénie aux critiques le droit

  1. Cette pensée s’aperçoit déjà dans sa Logique, prœfat., tome VII de l’édition de Pickering, et dans son traité of true Religion, tome V. L’ouvrage découvert en 1823 est le J. Miltoni Angli de Doctrina christiana ex sacris duntaxat libris petita, traduit et publié en 1825 par le révérend Charles Sumner, aujourd’hui évêque de Winchester. On cite un assez grand nombre de passages du Paradis perdu qui auraient pu faire pressentir l’opinion de Milton.