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croyances, sinon des cultes, et la tolérance de cette diversité chrétienne tant reprochée au protestantisme et qui en est l’honneur, car elle laisse le monde moral tel que Dieu l’a fait, et place sous une loi purement spirituelle le royaume de l’esprit.


VI.

Une religion d’état est l’institution la moins compatible au premier aspect avec une telle liberté, et l’Angleterre a plus qu’aucune nation réalisé l’étrange fiction d’une religion d’état; mais en pratique, l’état, quand il s’approprie la religion, ne peut aspirer qu’à la faire respecter, non à la faire croire. Il est habitué à se peu soucier du fond des âmes, et il s’arrête tout naturellement devant ce que Fénelon nomme le retranchement impénétrable de la liberté du cœur. Il est donc en temps ordinaire peu empressé de forcer les consciences; il tient moins à la foi qu’à la paix. En Angleterre, ce que le pouvoir avait d’intolérance s’épuisait presque tout entier contre les catholiques, dont il redoutait les passions plus que les croyances, et dont le séparait, non une question de foi, mais une question de souveraineté. Les protestans dissidens pouvaient ne pas reconnaître au fond la suprématie spirituelle de la couronne, mais ils n’en cherchaient pas une autre hors du pays, et des sujets du roi ils étaient ceux peut-être qui tenaient le plus aux principes et à la dynastie de la révolution. Le gouvernement ne devait donc se sentir nulle inclination à les persécuter; à coup sûr, il n’y avait aucun intérêt, et par bonheur il trouvait dans le corps chargé de desservir et de défendre la religion quelques hommes encore plus attachés au protestantisme qu’à l’épiscopat, et qui n’ignoraient pas que la piété ne dépend d’aucun formulaire. Si la reine Anne n’avait été dévote et les country gentlemen asservis aux préjugés de la haute église, jamais l’orthodoxie épiscopale n’aurait fait sentir son joug spirituel au commencement du XVIIIe siècle.

Je n’ai nulle envie de dissimuler qu’une certaine licence intérieure profite de la liberté extérieure, et qu’ainsi livrées à elles-mêmes, les intelligences prennent leur vol. D’ailleurs, quand l’orthodoxie est une formule officielle, on est bien près de la regarder comme une fiction légale. La loi en veut aux actions, non aux opinions. Pourvu qu’on l’observe, on n’est pas tenu de l’admirer. Décréter le dogme, c’est autoriser les hommes à le traiter comme la loi, à le prendre pour un règlement d’état, non pour la vérité éternelle, à y souscrire par prudence ou nécessité, à le professer enfin sans y croire. L’établissement ecclésiastique des Anglais eut donc cet effet d’accoutumer les esprits à faire une distinction peu digne entre la religion qu’on professe et celle que l’on croit. L’indifférence sur le fond des choses