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ment pour parer le coup, en demandant la main soit de la reine, soit de l’infante, pour M. le duc de Montpensier. Toute l’histoire des mariages espagnols est dans ces deux déclarations, faites hautement l’une et l’autre et bien avant que le moment fût venu de les appliquer[1]. Nous n’avons rien fait pour faire venir ce moment. Nous nous sommes prêtés, dans le cercle des descendans de Philippe V et sans en exclure aucun, à toutes les combinaisons qui pouvaient s’of-

  1. Je joins ici le texte de deux pièces qui, entre plusieurs autres, contiennent ces deux déclarations de la manière la plus claire et la plus précise.

    Le 13 mars 1843, j’écrivais à M. le comte de Sainte-Aulaire :

    « … Sir Robert Peel, exprimant « l’opinion bien arrêtée du gouvernement anglais, » a dit à la chambre des communes, le 5 de ce mois, que « l’Espagne étant investie de tous les droits et privilèges qui appartiennent à un état indépendant,… la nation espagnole, parlant par ses organes dûment constitués, a le droit exclusif et le pouvoir de contracter les alliances matrimoniales qu’elle jugera convenables. »

    « Quelle est la portée de cette déclaration ? Dit-elle réellement tout ce qu’elle paraît dire ? Signifle-t-elle que, quelle que soit l’alliance matrimoniale que croiraient devoir contracter la reine et la législature d’Espagne, fût-ce même un prince français, le gouvernement anglais n’y interviendra pas, et ne se jugera point eu droit de s’y opposer ?

    « Si c’est là en effet l’intention de sir Robert Peel, nous n’avons rien à dire, et ses paroles, prises dans ce sens et avec cette valeur, simplifieraient peut-être beaucoup la situation de l’Espagne et la nôtre.

    « Mais si sir Robert, en proclamant la complète indépendance de l’Espagne dans le choix du mari de la reine, persiste cependant au fond à en exclure les princes français, et à soutenir que l’Angleterre aurait droit de s’opposer et s’opposerait en effet à un pareil choix, plus j’ai de respect pour sir Robert Peel, pour son caractère et ses paroles, plus je me crois en droit de m’étonner.

    « Du premier moment où j’ai touché à cette question du mariage de la reine d’Espagne, je me suis imposé la loi d’apporter dans tout ce que je ferais, dans tout ce que je dirais à cet égard, la plus entière franchise. Je connaissais les préventions, les méfiances que je rencontrerais sur mon chemin. J’ai voulu leur enlever sur-le-champ tout prétexte. On nous a déclaré, dis-je, que l’Angleterre, dans les chances de mariage de la reine Isabelle, donnait l’exclusion à nos princes. Nous avons répondu en excluant à notre tour les princes étrangers à la maison de Bourbon. Je ne discute en ce moment ni l’une ni l’autre déclaration. La nôtre a été faite du même droit que celle de l’Angleterre, et est fondée sur des motifs de même nature.

    « En la portant à la connaissance des grandes puissances européennes, en l’indiquant à notre tribune, j’ai fait acte de loyauté envers l’Espagne, envers l’Angleterre, envers l’Europe. J’ai voulu que partout on sût d’avance, et bien nettement, quelle serait, dans cette grande question, la politique de la France.

    « Au fond, et tout homme sensé n’a qu’à y réfléchir un moment pour en demeurer convaincu, nous n’avons porté par là nulle atteinte à l’indépendance de l’Espagne. La nation espagnole, sa reine, son gouvernement, ses cortès, sont parfaitement libres de faire dans cette question du mariage tout ce qui leur conviendra ; mais les états, comme les individus, ne sont libres qu’à leurs risques et périls, et leur volonté ne saurait enchaîner celle de leurs voisins, qui à leur tour sont libres aussi d’agir selon leurs propres intérêts. Dire d’avance et tout haut quelle attitude on prendra, quelle conduite on tiendra si tel événement s’accomplit dans un état voisin, c’est de l’imprudence, si l’on n’est pas bien résolu à tenir en effet cette attitude et cette conduite ; mais si l’on est bien résolu, c’est de la loyauté. »

    Le 27 février 1846, j’adressai à M. le comte de Sainte-Aulaire le mémorandum suivant qu’il communiqua le 4 mars à lord Aberdeen :