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SIR ROBERT PEEL.

bien prise ni d’attachement bien ferme pour l’un ni pour l’autre de ses libérateurs. Au milieu des perturbations révolutionnaires ou des oscillations constitutionnelles, les liens ou les goûts personnels de la maison régnante ne dominaient plus la politique du pays. L’Angleterre en 1814 avait demandé pour prix de ses services au roi Ferdinand VII, remonté sur son trône, l’engagement formel de ne jamais rétablir entre les Bourbons de France et les Bourbons d’Espagne le pacte de famille ; elle eût pu se dispenser de ce soin, les événemens l’avaient pris pour elle : le pacte de famille, l’intimité des deux couronnes, l’union active des deux gouvernemens, toute cette politique franco-espagnole du xviiie siècle n’étaient plus que de l’histoire, une tradition encore importante pour la France comme gage de sécurité sur cette frontière, mais dont elle n’avait, comme force offensive, rien de grand à attendre, ni l’Angleterre rien de sérieux à redouter.

Mais ni les peuples, ni les gouvernemens eux-mêmes ne reconnaissent à temps ces transformations du monde ; la mémoire et l’imagination les dominent bien plus que l’observation ne les éclaire ; le passé jette sur leur esprit ses grandes ombres, et ils se consument à poursuivre ou à éviter des fantômes, au lieu de se conduire selon les faits réels et actuels. Je me suis ainsi surpris plus d’une fois en flagrant délit d’anachronisme, et mettant à certaines choses, soit pour les désirer, soit pour les craindre, une importance qu’elles n’avaient plus. Je pressentais que la même disposition de la part de l’Angleterre amènerait, dans nos relations avec elle à propos de l’Espagne, quelque grave embarras. La sollicitude du roi Louis-Philippe à cet égard était encore plus vive que la mienne. Je le répète aujourd’hui sans la moindre hésitation, comme sans le moindre intérêt : jamais la politique d’entente cordiale entre la France et l’Angleterre n’a eu et n’aura, parmi les souverains français, un plus convaincu, plus sincère et plus persévérant défenseur. Nous nous entretenions souvent des soins à prendre pour éviter tout ce qui pourrait, sans réelle et nationale nécessité, y porter quelque atteinte. Pour le mariage de la reine d’Espagne en particulier, le roi avait fait, dès que la question avait apparu, acte de désintéressement et de franchise ; il avait déclaré qu’il ne rechercherait ni n’accepterait cette union pour aucun des princes ses fils, et quant à l’infante, qu’il ne la rechercherait pour M. le duc de Montpensier que lorsque la reine serait mariée et aurait des enfans ; mais une autre déclaration également positive était liée à celle-là : si le mariage soit de la reine d’Espagne, soit de l’infante sa sœur, avec un prince étranger aux descendans de Philippe V, devenait probable et imminent, nous étions affranchis de tout engagement et libres d’agir immédiate-