Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le protestantisme est une certaine liberté dans une certaine unité. La liberté n’est pas illimitée comme on le prétend, mais l’unité est large. De même que des extrémités du jésuitisme à celles du jansénisme on est encore catholique (on l’était du moins au XVIIe siècle, si inférieur au nôtre, comme chacun sait, en intelligence religieuse), il faut admettre que du calvinisme épiscopal à l’unitairianisme nazaréen les nuances du christianisme peuvent aller s’affaiblissant, mais ne s’effacent pas tout à fait. Il est impossible de ne pas regarder Clarke et Channing comme des chrétiens. « Je ne puis, dit un docteur anglican très respecté, Thomas Arnold, refuser le nom de chrétien à quiconque aime et craint véritablement le Christ, et quoiqu’à mon avis l’unitairianisme tende à amoindrir cet amour et cette crainte, je ne doute pas cependant que beaucoup d’unitairiens n’éprouvent ces sentimens. Et dès lors Christ est leur Sauveur, et ils sont, eux aussi, son peuple. » On peut en effet dans la controverse faire de tel ou tel dogme déterminé la condition d’existence de la religion. C’est en théorie une chose fort licite que de fixer l’essence d’une doctrine en lui assignant un principe fondamental. Il est possible même qu’on rencontre juste, et qu’en bonne logique on réussisse à poser la limite passé laquelle il n’y a plus de point d’arrêt jusqu’aux conséquences extrêmes; mais les conséquences extrêmes et la bonne logique ne peuvent rien sur les faits. Il n’est pas question de savoir si, tels qu’ils sont, les hommes feraient mieux d’être conséquens, j’en doute fort pour mon compte; mais, quoi qu’on en pense, ils ne le sont pas, ils croient avoir mieux à faire que de l’être, et l’on doit, pour décrire et juger les choses, les accepter telles qu’elles sont. Or c’est un fait que chez les nations protestantes, et particulièrement dans la protestante Angleterre, les interprétations diverses des mêmes symboles, ou, en dehors de tout symbole, des mêmes livres, coexistent sous le nom du christianisme. L’idée de christianisme et l’idée d’orthodoxie sont deux idées fort différentes. Cependant chaque secte chrétienne aspire à l’orthodoxie, et se vante d’y être parvenue. Telle est, au milieu des liens qui devraient unir toutes les sectes, la source de leurs divisions et de leurs combats, car elles ne sont pas en Angleterre plus d’accord qu’en d’autres pays, quoique les habitudes de la liberté et l’existence d’une tolérance légale, si imparfaite qu’elle ait été longtemps, aient forcé ces frères ennemis à se supporter en se disputant.

C’est sur la dernière de ces sectes, je dis la dernière en allant vers la philosophie, c’est sur le christianisme le moins riche en dogmes et en mystères révélés que nous voudrions appeler un moment l’attention; mais on ne saurait, dans un pays de libre controverse, observer une secte sans regarder un peu les autres, et leur concours, leur rivalité même dans l’œuvre de la sanctification est