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supprimer l’homme pour tout changer. Ceci découvert, il se mettait à l’œuvre, trompant ses complices, supposant la mort de Napoléon, simulant un décret du sénat qui rétablissait la république, arrêtant le ministre de la police et le préfet, et s’il ne réussit pas, pour un instant du moins, c’est que peut-être il ne crut pas assez lui-même jusqu’au bout à son idée. Ainsi tout venait accabler Napoléon. Il s’irritait surtout de ce que, dans cette débâcle d’une matinée à Paris, on n’avait pas même songé à son fils, à la dynastie. Si, avec la lumineuse sagacité de son génie, il avait voulu lire dans son destin, il aurait vu que ce désastre de Russie et cette conspiration qui venait le surprendre se liaient par plus d’un point et tenaient à une même cause, à la nature de son pouvoir. Il aurait vu qu’en voulant, en pouvant tout permettre à son ambition, il était allé chercher le plus éclatant dtsaveu de la fortune, et qu’en concentrant la vie d’un pays dans sa personne, en réduisant tout à une subordination passive, il avait créé une situation telle que, lui disparu, il ne restait plus rien, et on passait sous le joug d’un autre pouvoir par habitude d’obéissance. Dernier enseignement de cette grandiose époque !

Ces souvenirs font partie de l’histoire du passé. L’histoire contemporaine est tout entière dans cette vie diverse, souvent agitée, de tous les peuples. Pour le moment, quels sont les pays qui ont leurs crises intérieures, leurs incidens en dehors du mouvement de la politique générale ? L’Espagne, après s’être débattue durant deux années dans une révolution, travaille à régulariser une situation où luttent encore les élémens les plus divergens. Une chose est manifeste, la période révolutionnaire est finie ; mais que résulterat-il de ce changement qui vient de s’accomplir dans la politique de la Péninsule ? C’est ici que toutes les influences sont en jeu et que commencent à apparaître les véritables conditions dans lesquelles l’Espagne a été soudainement jetée. Ces conditions sont celles d’une transition difficile et compliquée. L’étal même des partis ne laisse point d’être curieux. Les progressistes ont été visiblement déconcertés par ce brusque revirement des choses qu’ils pressentaient, qu’ils redoutaient, mais qu’ils ne croyaient ni aussi prochain, ni aussi facile. Ils n’étaient point très unis avant leur défaite, ils le sont encore moins aujourd’hui. Une fraction du parti va grossir la petite armée démocratique et révolutionnaire. L’autre fraction, celle qui se compose des hommes les plus modérés, s’est rattachée à la situation actuelle. Ces progressistes entourent le général O’Donnell ; ils lui rappellent ses engagemens de Manzanarès, ils remettent sous ses yeux, comme pour l’embarrasser, ces séances orageuses des cortès où il faisait les déclarations les plus libérales, où il se prononçait contre les modérés, contre la constitution de 1845, dont M. Rios-Rosas soutenait la validité même après la révolution. Les progressistes s’efforcent de montrer au président du conseil actuel qu’il ne peut devenir le chef du parti modéré, tout prêt à se ranger encore sous l’autorité du général Narvaez, et ils lui offrent la place de chef du parti pro-