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gitimement modifié sans leur concours. Le 4 mars 1847, M. Hume demanda à la chambre des communes quelque chose de plus que cette protestation : il voulait qu’en retour de l’acte violent que les trois puissances du Nord venaient d’accomplir, le gouvernement anglais se considérât comme affranchi d’une obligation pécuniaire que, par une conséquence du même traité de Vienne, l’Angleterre avait contractée envers la Russie, et sur laquelle il lui restait encore à payer une somme de 3 917 187 livres sterl. (97 929 675 fr.). Tout en protestant de nouveau contre la violation du traité, lord John Russell refusa avec raison d’y répondre par une violation à la fois analogue et subalterne, et sir Robert Peel appuya également le cabinet dans sa protestation et dans sa résistance. « Je désire, dit-il, l’équitable et honorable accomplissement de nos engagemens, d’autant plus que je ne saurais m’associer au langage tenu par le ministre des affaires étrangères de France sur les conséquences de l’événement qui nous occupe. M. Guizot dit dans sa protestation : « Aucune puissance ne peut s’affranchir des traités sans en affranchir en même temps les autres. La France n’a point donné l’exemple d’une semblable atteinte à la politique de conservation et de paix. La France n’a point oublié quels douloureux sacrifices lui ont imposés les traités de 1815. Elle doit se réjouir que l’occasion lui soit aujourd’hui fournie de ne plus consulter désormais que le calcul prévoyant de ses intérêts[1]. » Je proteste contre la conduite des trois puissances et aussi contre le langage du ministre de France. Je ne saurais admettre que ni ce pays-ci ni la France soient autorisés à ne plus consulter que le calcul prévoyant de leurs intérêts. Je nie absolument que la violation d’un traité par d’autres puissances nous autorise, moralement ou légalement, à le violer nous-mêmes. C’est parce que je crois que, dans l’état actuel de l’Europe, la stricte fidélité aux traités est la plus sûre base de la paix et le meilleur moyen de résoudre les difficultés qui se présentent, c’est parce que je ne crois pas, comme le ministre de France, que nous ayons droit de nous affranchir d’une obligation en suivant l’exemple contre lequel il proteste lui-même, c’est par toutes ces raisons que je désire ardemment que, si d’autres tiennent ce langage, nous n’y prenions aucune part, et que, dussions-nous rester seuls, nous restions seuls pour donner à l’Europe l’exemple d’une complète et honorable observation de nos engagemens. »

Si sir Robert Peel avait fait trois choses fort simples, s’il avait

  1. Je retraduis ici littéralement la traduction adoptée par sir Robert Peel de cette phrase de ma protestation du 3 décembre 1846 contre l’occupation de Cracovie. Voici le texte anglais : France must rejoice at the opportimity now afforded to consult nothing but a provident estimate of her own interest.