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chaînement lumineux. M. Henri Martin a abordé son travail sans plan bien arrêté, le complétant à mesure qu’il le faisait ; mais il y a une autre considération encore : le livre que l’Académie signale par une faveur exceptionnelle est une de ces œuvres nées de cette inspiration humanitaire et démocratique qui a pénétré jusque dans le domaine de la science historique. Pour l’auteur, il y a toute une tradition qui commence au druidisme pour aboutir à la révolution française. Jeanne d’Arc elle-même est assez bizarrement représentée comme une descendante de Velléda et une aïeule de Descartes. Le moyen âge trouve dans M. Henri Martin un juge fort peu équitable, et l’écrivain ne s’aperçoit pas que cette Jeanne d’Arc, qu’il travestit en voulant l’honorer, n’est elle-même qu’une héroïne du moyen âge. Or ici on peut se poser une question assez grave : à quel point de vue l’Académie a-t-elle couronné l’Histoire de France de M. Henri Martin ? Si c’est le talent, le zèle du travail qu’elle a voulu récompenser, abstraction faite de l’esprit qui règne dans le livre, elle aurait pu placer ailleurs ses couronnes ; elle aurait pu notamment choisir M. Michelet, qui a écrit sur l’histoire de France des volumes tels que M. Martin n’en écrira probablement jamais. Si l’esprit de l’écrivain et de ses livres est compté par l’Académie, il est assez naturel qu’elle ait été effrayée par les ouvrages postérieurs de M. Michelet ; mais alors comment s’explique le choix de M. Henri Martin ? L’Académie, il est vrai, n’en est point à se contredire et à faire marcher ensemble les choses les plus divergentes. Ici cependant la contradiction est d’autant plus grave, qu’elle tend à accréditer une œuvre où la civilisation française n’apparaît qu’à travers les interprétations de l’esprit de système.

De toutes les histoires qu’une plume contemporaine peut retracer pour l’éternelle Instruction des hommes, il n’en est pas de plus éloquente, de plus dramatique et de plus variée dans ses élémens que cette histoire des soixante dernières années, qui n’est elle-même que la suite de tout un ensemble de choses. Que manque-t-il dans ces annales palpitantes encore ? Émouvantes révolutions des sociétés, commotions civiles, spectacles sanglans de la guerre, luttes plus régulières de l’éloquence politique, tentatives dans la littérature et dans les arts, excès de la licence et de la compression, tout se réunit, tout arrive, tout passe et renaît. Dans cette histoire, on dirait qu’il y a un espace de temps déterminé pour le règne de chaque chose. Après l’éclat et la grandeur, l’épuisement et le déclin. En déroulant le drame des destinées de l’empire, M. Thiers, dans le quatorzième volume de son Histoire, qu’il vient de publier, arrive à l’heure des tragiques revers. Ce volume est consacré tout entier à la campagne de Russie. L’historien laissait récemment Napoléon et l’armée française après le passage du Niémen ; il les retrouve aujourd’hui marchant sur Wilna. Il décrit cet immense appareil, il met à nu tous les secrets de ces opérations auxquelles les hommes ne suffisent pas, qui ont besoin de l’effort incessant d’une prévoyance minutieuse et infatigable pour préparer toutes les ressources de la