Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’art littéraire, et restant toujours lui-même dans l’examen de cet ensemble d’ouvrages soumis à l’Institut. L’Académie avait cette année à couronner les travaux les plus divers, un éloge de Vauvenargues et une étude sur Froissart, un morceau de poésie sur les restes de saint Augustin rapportés à Hippone, et les livres reconnus les plus utiles aux mœurs. Elle avait aussi à décerner quelques prix plus récemment créés et réservés, soit pour des œuvres spéciales de haute littérature, soit pour des vocations plus persévérantes que favorisées par la fortune. C’est M. Gilbert qui a été couronné pour un éloge de Vauvenargues, dont les fragmens lus à l’Académie sont ingénieux et fins. Parmi les ouvrages les plus utiles aux mœurs, les Symphonies de M. de Laprade représentent la poésie, comme la traduction de la Cité de Dieu de M. Émile Saisset représente la philosophie, de même qu’un livre de M. Janet sur la Famille représente la morale ; mais au milieu de ces récompenses si diverses, une surtout a une sorte d’intérêt touchant : c’est celle qui a été accordée à un livre posthume de M. Ozanam sur la Civilisation au cinquième siècle. M. Ozanam était un de ces esprits qui luttent avec toute l’impatience du bien et du beau avant d’atteindre au plein épanouissement de leurs facultés, mais dont le talent finit par se dégager sain et pur. M. Ozanam n’est arrivé à cette heure favorable que pour disparaître prématurément en laissant les traces vivantes de ce mélange d’inspiration et d’étude qui caractérisait ses travaux. La pureté de la vie unie au dévouement du savant et à la supériorité de l’écrivain, c’est là ce que l’Institut a couronné, même après la mort.

Il y avait enfin pour l’Académie un choix plus difficile à faire, un prix d’un caractère exceptionnel à décerner : c’est celui qui est destiné au morceau le plus éloquent sur l’histoire de France. Pendant longtemps, l’Académie avait eu le bonheur de n’avoir plus à rechercher un nouveau lauréat, tant le choix primitif qu’elle avait fait était naturel et simple ; elle avait rencontré tout d’abord un de ces historiens qui réunissent le feu de la science, la passion des recherches, le don d’écrire, l’art de ranimer le passé en traits expressifs. Ce n’était point à une œuvre en particulier que s’adressait ce prix, c’était à une vie, à toute une carrière, et dans cette carrière il y avait l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands, les Récits des Temps mérovingiens, les travaux sur le tiers-état. Tant que M. Augustin Thierry a vécu, l’Académie était hors d’embarras ; elle n’avait qu’à confirmer tous les ans ce majorât de la science et de l’art. Malheureusement l’auteur des Récits mérovingiens a disparu, et l’Académie vient de lui donner pour successeur M. Henri Martin, auteur d’une volumineuse Histoire de France. Passer de M. Augustin Thierry à M. Henri Martin, la transition est un peu brusque et abrupte, on ne saurait le nier. Certes l’auteur de l’histoire qui vient d’être couronnée est un écrivain laborieux, très zélé pour son œuvre ; seulement dans cette œuvre il manque l’art supérieur qui saisit le fil des annales d’un peuple, qui classe et coordonne les faits dans un en-