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esprit à chaque révolution. L’instabilité des choses ne vient que des hommes. C’est eux qui, sous prétexte de suivre la leçon des faits, cèdent à tous les entraînemens de l’exemple, à toutes les vicissitudes de l’intérêt, et règlent la vérité sur la fortune. Il faut comprendre les réactions, soit; mais il faut les dédaigner et savoir attendre malgré la brièveté de la vie. »

Cette patience, qui est une des qualités du publiciste, lui laisse sans doute, avec la liberté de la réflexion, le droit et le devoir de rechercher, de rétablir, de justifier, s’il le faut, les principes de sa première conviction et de sa première espérance. La France n’a-t-elle fait qu’une révolution sociale? Était-elle incapable ou insouciante de faire une révolution politique, c’est-à-dire une révolution qui pût se gouverner elle-même, et de laquelle dût sortir un gouvernement de tout point analogue aux principes qu’elle avait proclamés? Faut-il, avec quelques esprits généreux, mais passionnés, supposer que certaines différences de droit civil et de traditions aristocratiques qui nous séparent de l’Angleterre nous excluaient d’une partie de ses institutions, et ne permettaient à notre liberté ni les mêmes formes, ni la même durée? La sentence, de quelque bouche qu’elle vînt, serait nulle, car, si toute liberté constitutionnelle était nécessairement subordonnée à une condition de droit civil qui n’existe pas parmi nous, qui en a disparu depuis longtemps, et qui n’y est ni regrettée ni populaire, la conséquence est facile à deviner : la France aurait dès lors perdu ce pourquoi elle n’est pas faite. Mais il n’en est pas ainsi, et les esprits élevés qu’une préoccupation historique ou logique et le dégoût de certaines faiblesses inhérentes à l’esprit démocratique pourraient pousser à l’admiration simultanée de toutes les institutions d’un pays tel que l’Angleterre comprennent cependant l’invincible nécessité de certaines différences. Le droit d’aînesse n’est pas une partie intégrante et indispensable de la monarchie constitutionnelle. Ce droit existait plus complet et moins compensé qu’aujourd’hui sous le règne absolu des Tudor, et Cromwell n’y trouva pas un obstacle à sa dictature.

Le droit d’aînesse, le partage inégal des biens immeubles et les transmissions de domaines substitués ne font pas la monarchie constitutionnelle d’Angleterre, pas plus que certains restes de cette législation, encore en vigueur dans quelques-uns des états de l’Union américaine, n’empêchent ces états d’être républicains fédéralistes. Diverses formes de droit civil sont compatibles avec la liberté politique, et ce serait un singulier préjugé, là où le droit d’aînesse n’existe pas, d’y aspirer par esprit de liberté, et, si on ne pouvait le rétablir, de se croire dès-lors incapable d’être libre sous une mo-