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livre mérite d’être aujourd’hui, pour l’ordre administratif et social de l’Angleterre, ce que, dans la première moitié du XVIIIe siècle, furent les lettres de Voltaire sur les Anglais dans l’ordre philosophique et religieux. C’est dire assez qu’avec plus d’une ressemblance dans la forme, dans l’exposition nette et rapide, dans le tour agile de l’esprit, le nouvel ouvrage est cependant plus sérieux, plus impartial, plus réellement instructif. La différence des temps et des sujets le veut ainsi, et la manière dont M. de Rémusat a été conduit d’un sujet à l’autre donne à l’ensemble un caractère particulier de naturel et de sincérité.

Ce livre est une formation accidentelle et successive, comme on dit en parlant de certains ouvrages de la nature. L’auteur ne l’avait pas originairement prémédité : il n’en avait pas conçu, distribué, subordonné les parties. Il ne l’avait pas fait d’un seul jet, ni même sous l’influence d’une seule époque. Et cependant ce livre est plus instructif que s’il était méthodique : dans la libre variété de la forme, il est complet, attachant, plein de verve et d’unité. Plusieurs causes ont aidé à ce mérite si rare dans les ouvrages même composés avec le plus d’ardeur et de suite : d’abord la connaissance intime du sujet étudié sous des aspects et dans des temps divers, dans les livres et dans les hommes, en esprit curieux et lettré, en publiciste indépendant et philosophe; puis à cette connaissance usuelle et approfondie ajoutons ce qu’il y a de plus noble à nos yeux, le goût sincère et grave de la liberté dans la science, dans les lois, dans le gouvernement, et l’empressement d’un esprit généreux à chercher ce qu’il aime dans l’histoire, la littérature, les mœurs et les débats publics d’un peuple affranchi depuis un siècle.

Un intérêt de plus attaché à cette étude, un charme particulier pour les lecteurs de M. de Rémusat naîtra du contraste même de cette intelligence si délicate et si fine avec le tour d’esprit du peuple qu’elle se plaît à nous décrire et à nous expliquer. Rien de la société anglaise dans ses traditions, ses usages, sa vie morale, son instinct politique, n’échappe à M. de Rémusat; mais lui-même n’est pas un Anglais, et ce peuple qu’il a vu de si près sur son propre sol, dont il comprend si bien l’histoire et les lois, qu’il décrit même avec des couleurs si locales et si vives, il le juge et le fait comprendre en même temps par une analyse d’un ordre différent, empruntée avec autant de vérité que d’agrément aux procédés d’une autre intelligence. Bien des passages de l’ouvrage reportent notre souvenir à ces deux admirables chapitres où Montesquieu donne aux Anglais un compte rendu de leur propre constitution si judicieux et si piquant, si vrai et si nouveau pour eux-mêmes. Lisez en effet le savant Blackstone, tout homme de goût qu’il était et faisant même des