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tôt à la chambre des communes, sans cesser d’être laborieux avocat, et en ajoutant seulement à sa clientèle les plus grandes causes politiques, les questions d’état des épouses royales éliminées, en instance pour obtenir leur part de couronnement.

À travers de pareils incidens d’une carrière oratoire, il a, durant longues années, servi dans l’opposition, fait la guerre de jour et de nuit, travaillé au triomphe des whigs, enfin il est entré avec eux au pouvoir, et il est devenu grand chancelier d’Angleterre et le plus actif des chanceliers, celui qui a terminé le plus de procès arriérés et mis presque à jour la vieille juridiction qu’il présidait : resté de là permanent et habile orateur de la chambre des pairs qu’il haranguait avec tant de science et de verve, il y a vingt ans, pour lui faire adopter le bill de la réforme électorale, il l’exhorte maintenant presque avec la même vigueur de raisonnement et de voix, la même chaleur de conviction civique à défendre ses privilèges héréditaires et son aristocratique indépendance.

Disons de plus, pour dernier trait, qu’à cette vie publique, si pleine et si affairée, lord Brougham n’a pas cessé de joindre les deux choses les plus préoccupantes et les plus opposées, la culture opiniâtre, la passion des mathématiques et l’activité courante de la polémique sous toutes les formes, politique, littéraire, érudite ; ce sera même de ses travaux rapides dans cet ordre de faits et d’idées, de ses nombreux essais de critique et de biographie, que se composent à nos yeux les notions et les jugemens qu’on peut lui emprunter avec le plus d’à-propos sur l’Angleterre contemporaine, celle d’avant la réforme et celle de la réforme, celle de la grande guerre et celle de la paix prolongée, de l’alliance active, deux situations si différentes où se retrouve cependant quelque chose d’identique.

À la carrière de lord Brougham, acteur et spectateur si intelligent dans les transformations de son pays, nous ne pouvons certainement comparer une carrière d’homme politique et d’écrivain français ; nous ne le pourrions ni pour Benjamin Constant, ni pour M. de Serre, ni pour M. Dupin, pour les hommes que certaines circonstances d’étude ou de profession sembleraient rapprocher de l’illustre Anglais. Nous le pouvons encore moins pour le parlementaire plus spéculatif peut-être que pratique, pour le penseur exercé, mais non absorbé par les affaires, pour l’écrivain dans la force de l’âge et du talent, et déjà, depuis plusieurs années, éloigné de cette politique contentieuse que lord Brougham ne quitta jamais. Notre mobile pays ne comporte pas ces longévités actives ; mais il n’en laisse pas moins de force à cette vie intellectuelle qui, sous le coup des événemens et du silence public, se replie sur elle-même et se rend compte des faits et des idées, au lieu de prendre part à l’action sur les choses.