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cas[1] ; mais leurs fruits parfumés n’offrent pas la saveur délicate de nos excellens raisins de treille : ils ne produisent qu’un vin peu estimé de nos gourmets, et qui ne saurait, en tout cas, nous rendre la variété de saveur et le bouquet délicieux des vins de France. Fort heureusement les faits les plus concluans sont venus dissiper les fâcheux pronostics déduits de l’hypothèse mal fondée de l’altération spontanée des cépages.

Et d’abord, la base même de cette hypothèse gratuite manquait, car l’oïdium ou l’érysiphe de la vigne n’est pas au nombre des champignons qui se développent de préférence sur les plantes maladives ou dans un état d’altération plus ou moins avancé. Aussi la plupart de nos sociétés d’agriculture et d’horticulture demeurèrent-elles convaincues, par une foule d’observations précises recueillies sur toute l’étendue de notre territoire et chez plusieurs nations voisines, que le mal dû à des agens extérieurs venait de l’un de ces parasites vrais qui s’attaquent aux plantes vivantes et vigoureuses; on resta persuadé qu’avec la cessation ou l’amoindrissement de la cause arriverait la diminution et plus tard la disparition des désastreux effets. En expliquant ainsi les faits observés, on pouvait même, jusqu’à un certain point, prévoir les résultats favorables de certains phénomènes atmosphériques de nature à diminuer les chances de dissémination des sporules ou semences de l’oïdium. Aussi comprendra-t-on que j’aie pu, sans trop m’aventurer, émettre cette pensée, que, sous l’influence de froids plus intenses et plus persévérans que de 1846 à 1855, et surtout de neiges plus abondantes, plus prolongées, effectuant ainsi une sorte de clarification de l’atmosphère, le nombre des propagules de la cryptogame parasite serait considérablement amoindri, qu’en même temps, son activité végétative étant ralentie, les vignes auraient moins à en souffrir[2]. Ces espérances se sont en partie réalisées, et les rigueurs du dernier hiver, entravant sans doute les progrès de l’oïdium, n’auront pas été sans influence sur l’état amélioré des vignobles.

Cette amélioration tant désirée aura du moins offert une occasion de reconnaître que les vignes n’étaient et ne sont en proie à aucune dégénérescence. On a pu constater effectivement en divers endroits

  1. Ce sont, avec le white fox rose, l’york madiera et le vitis muncy red pale, à peu près les seuls plants parmi les cépages étrangers et français qui aient présenté une grande résistance à la maladie dans toute la collection des vignes du Luxembourg, la plus nombreuse qui existe. Cette collection comprend au-delà de 4,100 ceps venus de tous les pays viticoles. Les observations attentives faites par M. Bouchardat sont consignées dans de nombreux tableaux contenant 2,050 numéros d’ordre.
  2. Par une sorte de compensation fâcheuse, ces neiges amoncelées sur d’immenses étendues de pays en France et au dehors sont devenues la cause principale des effroyables inondations dont plusieurs de nos départemens du midi et de l’ouest ont si cruellement souffert.