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tion s’est étendue depuis dix ans ; il faut exposer en même temps les théories qu’elle a provoquées, les idées divergentes qu’ont émises sur la nature du fléau les savans et les agriculteurs. On comprendra mieux sur quelles bases solides s’appuient l’opinion qui a prévalu et le traitement qu’il s’agit d’appliquer.

I.

C’est sans contredit une circonstance bizarre que l’affection particulière à la vigne nous soit venue de l’Angleterre, pays dépourvu de vignobles, et où la production du raisin résulte en quelque sorte d’une culture forcée, à l’aide d’un climat artificiellement obtenu dans des serres chaudes ; mais c’est précisément aux conditions peu naturelles de la culture forcée dans les serres que l’on doit attribuer l’une des principales influences favorables au développement extraordinaire du végétal parasite qui a si brusquement envahi nos vignobles. Dans les serres en effet se trouvent réunies les conditions de température douce et d’humidité constante qui conviennent à la végétation d’une foule de mucédinées, de champignons, et particulièrement à la fructification du parasite de la vigne.

Observé pour la première fois dans les serres de Margate, sous l’aspect de légers filamens blanchâtres, par M. Tucker, jardinier, qui reconnut son action pernicieuse sur les raisins, et par le révérend Berkeley, savant botaniste, qui détermina sa véritable nature, l’oïdium tuckeri (ainsi qualifié du nom même de M. Tucker) n’a pas sans doute été créé de nos jours, et n’est pas né spontanément : il devait exister depuis les temps anciens. On trouve dans Pline une description de ses formes, de ses effets, et des conditions météorologiques qui excitent son développement. Elle peut du moins s’appliquer au végétal microscopique qui s’est montré plus désastreux et a pu être mieux étudié de nos jours[1]. Si, comme le dit Pline, « le mal se produisant par une température humide et douce, le fruit se trouve attaqué et comme absorbé sous l’étreinte de filamens comparables à des toiles d’araignée, » il faut convenir que l’invasion d’auourd’hui, par les apparences et les résultats, ressemblerait fort à la maladie d’autrefois. Sans remonter si haut, l’existence dans plusieurs pays de cryptogames analogues à l’oïdium tuckeri paraît aujourd’hui un fait acquis. M. le docteur Montagne, l’un de nos plus savans mycologues, a remarqué dans deux erysiphes[2] décrits par

  1. « Nascitur hoc inalum tempore humido et lento… Est etiamnum peculiare olivis et vitibus (araaeum vocaat), cum veluti tela involvunt fructum et absumunt. » Pline, Hist. nat., lib. xvii, cap. 14, p. 393, édit. Dalcamp, 1606.
  2. Genre de champignons.