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menaçante ou dangereuse pour sa propre sécurité, elle ne peut désirer pour la Moldo-Valachie que le développement d’une prospérité normale et dans les termes des traités. Elle n’ambitionne point la possession de ces provinces, que des combinaisons diplomatiques d’ancienne date voulaient lui livrer moyennant des compensations qu’elle jugeait inacceptables. Elle s’opposa vivement, après la paix de Tilsitt, à ce qu’elles fussent données à la Russie, et refusa à cette puissance de les partager avec elle, lorsqu’en 1828 la Valachie lui fut offerte jusqu’au Bouzéo, si elle voulait s’allier avec les Russes contre la Turquie. Est-ce à dire cependant que l’Autriche puisse s’opposer à l’union des deux principautés, faite non plus au nom des idées révolutionnaires, mais dans l’intérêt des principes conservateurs, avec l’assentiment de la Porte-Ottomane et de ses alliés ? Les divans doivent être convoqués, et la Valachie et la Moldavie vont pouvoir faire connaître leurs vœux par des organes légaux, ce qui n’a pas encore eu lieu. Des divans composés de fonctionnaires, des jeunes gens sans mission de leurs concitoyens, des émigrés absens du sol natal depuis plus de huit ans, peuvent avoir pressenti les sentimens des Roumains, mais ne peuvent pas avoir le caractère qui crée une représentation sincère du pays. Voyons ce que diront les boyars ou plutôt les propriétaires, les évêques, les prieurs, le clergé, les mochnénis, les rezèches, les commerçans réunis, les paysans ; voyons enfin ce que dira la nationalité moldo-valaque réunie dans ses comices. Si elles veulent fonder quelque chose de stable et d’acceptable pour les voisins des principautés, que les assemblées renoncent à l’idée de créer une puissance en état de résister par les armes aux colosses qui environnent le pays roumain. Qu’elles cherchent la force de ce pays dans sa faiblesse relative, dans l’intérêt qu’il inspire, dans son union avec la Turquie. Un écrivain qui fait autorité pour la Grèce[1] conseillait aux Grecs, en 1824, de détruire la piraterie chez eux, et de maintenir par des lois fortes la tranquillité sur les mers, afin de se concilier les puissances maritimes, sans lesquelles ils n’avaient point d’avenir… Ἠμιν γὰρ θαλάσσια ἔργα μεμήλει, « avant tout maintenez la paix sur la mer, » leur disait-il. Pour nous, qui dès 1849 appelions l’attention de l’Europe, alors distraite, sur des peuples dignes du plus vif intérêt, sur une terre d’une fertilité prodigieuse, sur une race qui parle la langue des légions romaines, pour nous qui donnions à cette époque le nom de Belgique du Danube à la Moldo-Valachie, nous dirons aux assemblées moldo-valaques : « Surtout, gardez-vous de donner des inquiétudes sur vos frontières ! »


EUGENE POUJADE.

  1. Le colonel Leake.