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des paysans devait être la même en Bessarabie, en Moldavie et en Valachie. Loin de tendre à ce but, le gouvernement russe maintint des différences tranchées, et le paysan moldave, mieux traité que le bessarabe, était et reste beaucoup moins heureux que le valaque. Les auteurs du règlement organique se contentèrent d’imaginer la combourgeoisie, c’est-à-dire la facilité pour les Moldaves et les Valaques de servir à volonté dans l’une ou l’autre principauté ; mais cette disposition même demeura à peu près sans effet à cause de l’état des rangs dans les deux provinces.

L’idée de la réunion n’eut pas de plus grands développemens jusqu’en 1847, où l’ambition d’un hospodar d’une part et les vives aspirations de la jeunesse de l’autre firent entrer dans le monde des hypothèses le grand-duché duco-roumain. L’idée première de la réunion des principautés appartient donc aux passions ambitieuses ou patriotiques qui précédèrent et suivirent le mouvement de 1848. Cette idée était alors éminemment révolutionnaire, et, comme toutes les idées révolutionnaires, mêlant le chimérique au possible, le téméraire au généreux, ne s’arrêtait point aux fi entières que des traités, malheureux sans doute et arrachés par l’injustice ou la fraude, mais consacrés par le temps, ont données aux principautés. Elle passait audacieusement les Carpathes et le Pruth, dépouillant deux grands empires de quelques-unes de leurs provinces. Toutefois l’idée révolutionnaire n’était point entièrement fausse. Son point de départ était vrai en soi, noble, humain, puisqu’il s’agissait de réunir sous un même sceptre sept ou huit millions d’hommes qui parlent la même langue et professent presque tous la même religion. Ce qui rendait l’édification d’une nationalité roumaine homogène et compacte impossible par l’idée révolutionnaire, c’était la situation géographique de cette race et des principautés, enclavées entre trois empires composés de races diverses et de provinces réunies sous un même sceptre, après avoir été indépendantes.

Parmi ces provinces, l’Autriche compte la Bukovine, qui a fait partie de la Moldavie, la Transylvanie et la Hongrie, où habitent plus de deux millions de Valaques. Or c’est parmi ces populations de la Transylvanie que l’Autriche a trouvé une fidélité et un appui qui l’ont sauvée au jour du danger. Aurait-elle donc pu consentir, sans la plus grande nécessité, à permettre la création d’un état qui aurait amené l’absorption de la Transylvanie et de la Bukovine, ou qui seulement aurait pu altérer l’esprit des populations de ces deux provinces ? La question de la réunion des principautés par l’idée révolutionnaire rencontrait ainsi d’insurmontables difficultés.

Le premier intérêt de l’Autriche dans les principautés est l’ordre. Profondément hostile à toute manifestation révolutionnaire