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profiter des conjonctures qui s’offrirent à son habileté. Par un rare concours de circonstances, elle fut appelée tacitement, par toutes les puissances qui étaient engagées dans la grande lutte récemment terminée, à occuper les principautés. Elle avait là un beau rôle à jouer ; il ne dépendait que d’elle de représenter la civilisation occidentale sur les bords du Bas-Danube, de faire oublier aux Roumains les premiers bienfaits des Russes, comme leurs récentes injustices ; on sait si elle y a réussi.

Le traité de Paris, qui fait rayonner si loin la force morale de la France, résout d’une manière également favorable à toutes les puissances intéressées le problème épineux de la question des principautés. Le traité dégage le Danube de toutes ses entraves, ouvre au commerce de l’Allemagne, des provinces moldo-valaques et de la Roumélie la plus grande artère de l’Europe. Il consacre la suzeraineté de la Porte-Ottomane, qui est la sauvegarde la plus puissante de la nationalité roumaine, nationalité qui aurait déjà fait naufrage, comme celle de la Pologne, sans l’intérêt universel qui s’attache au maintien de l’empire ottoman. La Russie, débarrassée d’un protectorat dont ses agens avaient mal usé et qui avait compromis son rôle civilisateur en Orient, se présente désormais avec des forces morales qui peuvent lui faire reconquérir une influence dont il ne reste plus qu’à prévenir les abus. Enfin l’Autriche peut réparer le mal qu’elle s’est fait par l’occupation des principautés, en rivalisant avec la Russie de solicitude pour les intérêts de ses provinces limitrophes. Quant à la France et à l’Angleterre, elles ont mérité le nom de bienfaitrices en appelant les Roumains à faire partie de la famille européenne, où leurs idées et leurs sentimens avaient depuis longtemps marqué leur place. Des réformes sages, modérées, mais indispensables, vont sans doute signaler l’intervention de la France et de l’Angleterre dans les affaires de l’Europe orientale, et tout semble concourir à une heureuse solution.

Toutefois, au seuil même de leur nouvelle destinée, une question grosse de difficultés surgit pour les principautés. Cette question ne saurait être résolue qu’à force de calme, de bonne foi et de raison. La Moldavie et la Valachie seront-elles réunies en un seul état, ou bien continueront-elles à former des provinces séparées sous deux princes différens ? Tel est le problème qui s’offre aujourd’hui aux sérieuses méditations des hommes d’état, et qui touche au moins aussi directement aux intérêts des puissances voisines qu’à ceux des populations mêmes qu’il est question de réunir. Il faudrait une bien grande autorité pour résoudre d’avance un problème aussi ardu, et le congrès de Paris a sagement décidé que les populations seraient elles-mêmes appelées à se prononcer. C’est là sans doute une concession bien large, une faveur immense faite à ces populations,