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SIR ROBERT PEEL.

suis profondément convaincu que c’est notre devoir suprême de soutenir la religion et son influence sur l’âme humaine. Je suis profondément convaincu que l’esprit et les préceptes du christianisme doivent présider à nos délibérations, et que, si nos lois sont contraires à l’esprit et aux préceptes du christianisme, nous ne pouvons espérer que Dieu les bénira. Je puis le dire avec vérité : soit que j’aie tort ou raison en votant comme je vais le faire, ma résolution sera déterminée bien moins par des considérations d’utilité politique que par un profond sentiment de devoir religieux. Entre les croyances des juifs et celles des chrétiens, il y a, selon moi, une différence radicale. Je ne pense pas que l’accord des juifs avec les chrétiens pour reconnaître les vérités historiques et l’origine divine des préceptes moraux de l’Ancien-Testament efface leur dissidence quant aux doctrines qui sont le principe vital et le fondement du christianisme. Si donc nous avions, en tant que législateurs, autorité pour décider de l’erreur religieuse et mission pour punir l’erreur religieuse, ce serait notre pénible devoir de punir les juifs, car je considère l’incapacité politique infligée par la loi comme une sorte de peine ; mais nous n’avons point cette mission. Si les juifs ont commis, il y a bientôt deux mille ans, un crime inexpiable, nous n’avons reçu aucune autorité pour visiter l’iniquité des pères sur les enfans, non pas seulement jusqu’à la troisième ou quatrième, mais jusqu’à la trois centième ou la quatre centième génération. Ce terrible pouvoir ne nous appartient pas. « C’est à moi que la vengeance appartient ; je la rendrai, dit le Seigneur[1]. »

Comment un homme touché à ce point des grandes raisons morales sur lesquelles se fonde la séparation de l’état civil et des croyances religieuses avait-il attendu si longtemps pour voir cette lumière ? Comment avait-il été si longtemps le défenseur, le défenseur sincère et profond du principe opposé ? Ce serait un phénomène étrange si ce n’était pas la conséquence d’un fait fréquent et simple : les premières idées que l’homme a reçues, les relations qui l’ont habituellement entouré, l’atmosphère au sein de laquelle il a vécu, dominent sa pensée comme sa vie, et la part de vérité qu’elles contiennent peut lui suffire à ce point que ses yeux demeurent fermés à toute idée contraire, ou que, s’il en entrevoit quelqu’une, il s’en défend comme d’un tort ou d’un péril. Un pieux ecclésiastique de Londres, à peu près contemporain de sir Robert Peel, presque aussi distingué par l’esprit que par la vertu, et dévoué avec passion à l’abolition de la traite des nègres, John Newton, avait lui-même fait longtemps la traite sans se douter de l’indignité de son

  1. Saint Paul, Épît. aux Romains, chap. xi, vers. 19.