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Moldo-Valachie quand elle le jugerait nécessaire à ses intérêts, suspendait l’exercice des institutions que la Russie elle-même avait octroyées aux principautés, nommait provisoirement des hospodars, et limitait le temps de leur administration à sept ans, substituait un divan ad hoc, uniquement composé de fonctionnaires, à l’assemblée générale ; enfin elle instituait une commission pour réviser le règlement organique.

L’attention des hospodars et de la commission réunie en vertu de l’acte de Balta-Liman se porta principalement, avons-nous dit, sur l’état de la propriété. On vient de voir sous l’influence de quels faits politiques commença l’œuvre des réformes sociales dans les principautés. Examinons l’œuvre en elle-même et les lacunes qu’elle laisse à combler.

Il faut reconnaître d’abord qu’il n’y a nullement place pour des réformes radicales dans les principautés, où l’organisation de la propriété est solidement établie, et d’où le règlement organique a fait disparaître presque entièrement les faibles traces de féodalité qui y subsistaient. Il y a dans les principautés un fait capital : les terres, on peut le dire d’une manière tout à fait générale, n’ont jamais subi l’organisation féodale, en ce sens qu’il n’y a jamais eu de terres nobles et de terres non nobles, et qu’il ne se produit entre elles aucune distinction. Ainsi le paysan et le non boyard paient une capitation, mais s’ils sont propriétaires (et cela est très fréquent), ils ne paient aucun impôt pour leur terre. M. Guizot, dans son opuscule sur la Démocratie en France, dit qu’il n’y a plus chez nous de privilèges pour telles ou telles propriétés, et que c’est un fait nouveau et immense dans l’histoire des sociétés humaines. L’illustre historien oubliait que ce fait existe depuis des temps reculés en Moldo-Valachie. Il y a des paysans appelés des anciens, — mochnénis en Valachie, et en Moldavie rezêches. Les anciens forment une intéressante classe de propriétaires, qui possèdent des terres, des forêts, et dont les biens sont indivis. Ces terres sont entre leurs mains depuis un temps immémorial ; ils n’ont pas même de titres de possession, et lorsque devant les tribunaux il naît des contestations et qu’on leur demande depuis quand ils sont propriétaires, ils répondent : « Depuis que nous sommes descendus de cheval[1]. » Le titre traditionnel qu’invoquent les anciens en ces termes les dispense de tout document, de toute preuve écrite. Cette noblesse en vaut bien une autre. Un publiciste éminent[2] remarque justement que rien ne contribue plus à l’égalité qui élève que les possessions territoriales. Ces anciens, ces mochnénis ont sur leurs terres des paysans

  1. On les appelle aussi des discalicatori.
  2. M. de Tocqueville, l’Ancien Régime et la Révolution.