Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

armée dans les principautés. Quelles qu’aient été les causes qui amenèrent cette intervention, ce n’en fut pas moins pour la Russie une victoire suivie d’une autre victoire, —la signature de la convention de Balta-Liman.

On sait dans quelles circonstances fut signée cette convention. Il est toutefois quelques détails de la négociation qu’il est bon de rappeler pour mieux préciser l’esprit de l’acte qui en fut la suite. La Russie occupait militairement les principautés depuis plusieurs mois, et l’aide-de-camp-général Lüders était déjà intervenu à main armée en Transylvanie, lorsque le lieutenant-général Grabbe passa par Bucliarest, se rendant à Constantinople, porteur d’une lettre autographe du tsar pour le sultan. Ce général Grabbe, compromis dans la conspiration de 1826, avait été disgracié, et n’avait dû qu’à la protection de la princesse de Courlande, dont il était le parent, de ne pas être envoyé en Sibérie. Plus tard, la même influence le fit attacher comme colonel à la suite du général Geismark, un Saxon qui porta au service militaire de la Russie quelques-unes des qualités qui ont élevé au rang des capitaines illustres plusieurs princes de son pays. Le général Geismark prit le colonel Grabbe en affection, en fit son chef d’état-major, et lui fournit l’occasion de se distinguer, de réparer ses torts envers son souverain et de faire une brillante carrière. L’arrivée du général Grabbe à Constantinople causa une vive sensation. Il prit tout d’abord un ton plus que décidé. Il semblait imposer plutôt qu’il ne proposait, il paraissait même douteux qu’il voulût admettre la discussion. Toutefois la négociation prit un cours régulier, mais l’attaque fut vivement menée contre le divan, d’autant plus que l’Autriche et la Prusse se tinrent complètement à l’écart. Le général Grabbe voulait une convention solennelle, une sorte de traité dont la conséquence eût été de lier de nouveau plus étroitement la Turquie et la Russie, d’amoindrir l’effet du traité de 1841. L’ambassadeur d’Angleterre et le ministre de France secondèrent les résistances de la Porte, et les ministres ottomans crurent avoir remporté un succès parce qu’ils n’avaient pas cédé à toutes les demandes du plénipotentiaire russe, et parce que sa présence n’avait pas causé leur chute, comme on l’annonçait tout haut lors de son arrivée. Peu de jours après la signature du sened de Balta-Liman, on commença à comprendre qu’avec un peu plus de persistance et de fermeté la porte aurait pu obtenir quelque chose de mieux ; mais on se consola en se répétant que, pour la Turquie, c’était déjà beaucoup que d’avoir tenté une résistance. En réalité, la convention de Balta-Liman, grosse de conséquences et pleine de dangers, consacrait dans les principautés l’occupation russe, qui datait de l’année précédente, et lui donnait un caractère légal. Elle reconnaissait à la cour de Saint-Pétersbourg le droit de faire entrer des troupes en