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gardienne la plus vigilante et au moins lapins jalouse clés intérêts européens en Orient, et le comte d’Aberdeen écrivit la fameuse dépêche dont la publication, survenant au début du grand conflit qui naguère encore tenait le monde en suspens, fit éclater à la fois la haute prévoyance et la noble réserve du ministre injustement attaqué. Cependant le principal danger pour l’empire ottoman et pour l’Europe ne venait pas du traité d’Andrinople seulement ; il était caché, disons-le franchement, dans le régime parlementaire que la Russie avait octroyé à la Moldo-Valachie avec le règlement organique, et qui devait fonctionner en présence et sous la tutelle du consul-général de Russie. On ne nous surprendra jamais à médire des gouvernemens libres : ils sont l’honneur du genre humain, l’idéal auquel il tendra toujours, la source des plus nobles vertus et l’inspiration des grands talens ; mais il est permis de douter que ce fût dans une intention de désintéressement et dans un élan d’affection paternelle pour les principautés que la cour de Saint-Pétersbourg les dota d’une assemblée générale, et les exposa à toutes les agitations qui sont la conséquence des luttes parlementaires, surtout quand un puissant voisin a intérêt à fomenter ces agitations et ces luttes. Enclavées entre trois empires régis par des gouvernemens absolus, passant d’un régime où, malgré quelques institutions traditionnelles plutôt encore que pratiquées, l’arbitraire des princes n’avait de frein que dans leur propre modération, les populations moldo-valaques se trouvaient exposées à de nombreux écueils. Elles auraient cependant pu surmonter les dangers attachés à la liberté et n’en recueillir que les fruits, si la Russie avait été pour elles une tutrice ferme et bienveillante ; malheureusement ce rôle de véritable protectrice, la Russie ne l’a rempli en partie que sous la présidence du comte Paul Kisselef. Elle donna des réformes aux principautés parce que le sultan en donnait au reste de l’empire ; elle forma entre les Carpathes, le Danube et le Pruth des états quasi-indépendans et libres pour affaiblir l’empire ottoman et apporter la désorganisation dans les populations chrétiennes de la Bulgarie, de la Serbie, de la Bosnie.

Les anciens hospodars avaient été souvent d’actifs agens de la cour de Saint-Pétersbourg et l’avaient aidée à soulever les populations chrétiennes de la Turquie d’Europe, comme, par exemple, Constantin Ypsilanti, de 1802 à 1806 ; mais il s’était rencontré des hospodars qui n’avaient pas voulu servir d’instrument à la politique russe. Avec une assemblée agitée souvent par les influences du consul-général de Russie lui-même, avec des fonctionnaires dont le dévouement à la cour protectrice était largement récompensé, tandis que les partisans de la Porte-Ottomane étaient tenus dans la disgrâce ou dans l’ombre, on avait désormais un puissant levier pour agir d’une manière permanente et battre en brèche la Turquie d’Europe.