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Valachie, ne modifièrent en rien l’impression que j’avais éprouvée parmi les moines de Niamtzou et parmi les béguines d’Agapia et de Varatiko. Partout je retrouvai les mêmes mœurs faciles et brillantes. Je me bornerai à citer Monoxylon, couvent de femmes ainsi appelé à cause d’une image de la Vierge trouvée dans le creux d’un vieil arbre ; Tismana, situé dans une gorge pittoresque sur la petite rivière de ce nom ; Bistritza, dont la situation n’a rien à envier ni à la Suisse ni au Tyrol ; Arnota, fondé par un prince albanais, et qui servit de refuge aux habitans à l’époque des invasions des Tartares ; Polovradji, construit à la coupure même de l’Oltez, là où cette rivière s’échappe d’une grotte profonde, riche en stalactites ; Colza, bâti en face de l’Olto, au point où cette rivière indomptée s’échappe des Garpathes pour arroser la Valachie ; Orez, le plus considérable des cinq couvens fondés par les Brankovano, un des plus riches de toute la Valachie, et dont la vieille princesse Brankovano, retirée à Varatiko, a encore le droit de nommer les prieurs. L’abbé d’Orez venait de mourir. Il s’était rendu célèbre dans le pays. C’était un Grec des Cyclades. Il s’appelait Chrysanthe. Son portrait était dans toutes les pièces du couvent, et il représentait bien le personnage tel qu’on le dépeignait dans la contrée. C’était un véritable abbé du moyen âge, comme Pétrarque nous en a décrit. Actif administrateur des biens temporels du couvent, il avait fait passer en Grèce des sommes considérables ; dur envers les paysans, il inspirait la terreur ; luxurieux et tyrannique, il imposait ses caresses aux jeunes filles de ses villages. Tout cela se lisait dans ses petits yeux verts et chatoyans, dans sa bouche épaisse et serrée, dans son large menton et son front bombé. Avec un turban, on l’eût pris pour Ali-Pacha de Tepelen. Dans un autre couvent que je ne veux pas nommer, le prieur entretenait ouvertement une Allemande, qui assistait à la messe dans un état que je trouvai peu intéressant, pendant que son seigneur et maître officiait. Cela ne semblait pas trop scandaliser l’assistance.

Un des couvens de femmes les plus agréablement situés de la Valachie est celui de l’Ostrof, ainsi appelé parce qu’il est construit sur une île de l’Olto : ostrof, en valaque comme en russe, veut dire île. C’est encore un béguinage ; chaque nonne a sa maisonnette sous des arbres séculaires et épais qui en dérobent la vue. Un petit bras de l’Olto, qui coule doucement, sépare à peine l’île de la grande route, et une barque plate y conduit les voyageurs, qui s’annoncent par le son d’une cloche. L’abbesse d’Ostrof ne revêt le costume religieux que lorsqu’elle a des visiteurs étrangers. Habituellement elle est vêtue à la dernière mode de Paris, et reçoit ses toilettes de Bucharest. Dans tous les grands couvens d’hommes, les voyageurs de distinction trouvent une large hospitalité, pour laquelle