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Transylvanie sous le gouvernement autrichien. Cette province est sillonnée de routes excellentes ; l’agriculture y est en progrès, et la population a beaucoup augmenté ; mais l’esprit de race et de nationalité y a conservé toute sa force. À mesure que je m’avançais dans le pays roumain, je reconnaissais les types qu’on voit à Rome sur la colonne Trajane. Une figure barbue, des cheveux blonds flottant sur les épaules, une chemise de toile grossière liée autour du corps, de longs caleçons, une petite hache pendue à la ceinture, une peau de mouton jetée sur l’épaule gauche et attachée sur la poitrine ; aux pieds des sandales de peau écrue, les jambes recouvertes de grosse laine roulée et relevée par des courroies, — tel est le Dace représenté sur la colonne Trajane, et tel on peut le retrouver encore en Moldo-Valachie. À côté du descendant des barbares à la chevelure blonde et flottante, et vêtu de la même manière, on retrouve le descendant des vainqueurs semblable au type que le voyageur a pu admirer dans la campagne romaine, et que l’immortel pinceau de Léopold Robert nous a rendu familier : des cheveux noirs, bouclés et descendant en touffes épaisses sur le cou et sur le front, un teint brun, quelquefois olivâtre, le front large et la tête couverte de la cachula[1], l’œil grand et profond, le menton relevé avec une grâce mêlée de fierté. Ces paysans conduisaient des chariots tirés par des bœufs ou des buffles qui sont loin d’avoir la férocité de ceux de la campagne romaine. Sur le sol de l’antique Dacie, les animaux comme les hommes ont perdu le caractère farouche qui distingue les uns et les autres sur les bords du Tibre. Rien n’est plus commun que de voir une paysanne conduire des buffles qui paissent libres, sans anneau dans les narines, tandis qu’elle tient un enfant dans ses bras.

À Czernowitz, chef-lieu de la Bukovine, je descendis dans un hôtel occupé par des officiers de deux régimens de hulans russes, qui dès le lendemain se mirent en marche pour la Transylvanie. J’entendis le colonel dire avec un accent tout français à ses compagnons : « Allons, messieurs, à cheval ! » Je me mis aussi en route, et j’entrai en Moldavie par le petit bourg de Michaëlin, ainsi appelé du nom du prince Michel Stourdza, qui y avait transporté le siège de l’administration du district, qui était autrefois et qui a été depuis replacé à Dorohoï. À Michaëlin, je vis pour la première fois depuis plusieurs jours de la

  1. Bonnet de grosse laine.