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sur les vrais intérêts des Roumains, sur la portée des résultats obtenus avant la guerre et sur ce qu’il reste à tenter aujourd’hui.

Vers la fin de juin 1849, j’arrivai à Vienne, me dirigeant vers les principautés. Les agitations causées par la guerre de Hongrie succédaient dans la ville des empereurs aux agitations révolutionnaires. Je vis le jeune souverain partant, au milieu des marques d’enthousiasme de la foule, pour aller passer en revue les troupes russes, déjà arrivées sur le théâtre de la guerre, tandis que les Hongrois restés fidèles et attachés à sa personne ne se gênaient pas pour dire que l’insurrection magyare ne serait vaincue que grâce à l’intervention moscovite, et que l’armée autrichienne seule n’en viendrait jamais à bout. Le voyage par la Hongrie était devenu impossible: la navigation à vapeur avait été interrompue sur le Danube, et les insurgés occupaient les forteresses baignées par ce fleuve. Je me dirigeai donc sur la Moldavie en passant par Cracovie et la Galicie.

Cette partie de la Pologne me frappa par la misère de ses habitans. À chaque station du chemin de fer ou aux relais de poste, des mendians s’agenouillaient pour demander l’aumône. Parmi eux étaient de belles jeunes filles, d’une rare blancheur, à moitié nues, mais revêtues à mes yeux de la double pudeur de la misère et de la beauté. Des juifs formaient des groupes étranges ; ils portaient de grands bonnets de fourrures, de sales robes noires, des culottes courtes ; ils avaient les cheveux et la barbe d’un roux ardent, descendant en tire-bouchons le long des joues et sur la poitrine. Les enfans, vêtus de la même manière, ressemblaient à de petits vieillards. À Cracovie, les Russes étaient campés au bas de l’ancien château de la ville, et le château même était occupé par les premiers blessés de la guerre de Hongrie. La route de Cracovie à Lemberg était sillonnée par des dragons russes, s’avançant à cheval en petits pelotons de cinq hommes avec un porte-drapeau en tête, mais les aigles couvertes. Ils marchaient en bon ordre vers la frontière de Hongrie. Une grande quantité de charrettes du pays, traînées par des bœufs, transportaient des fantassins russes et autrichiens, toujours séparés les uns des autres. Quelles réflexions ne faisait pas naître en moi la vue de ces soldats russes se présentant comme les protecteurs de la civilisation au milieu de populations mornes et attristées, au cœur de l’Europe orientale ! Telles sont les conséquences des révolutions ! elles font taire les sentimens d’orgueil et de susceptibilité nationale ; il n’est plus question de gloire ou même d’indépendance, il ne s’agit plus que de vivre.

Le second jour après avoir quitté Lemberg, je rencontrai plusieurs estafettes qui annonçaient qu’un engagement avait eu lieu à Bistritza, en Transylvanie, entre les Russes de la division Grotenhelm