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Mariage de Figaro, il nous est facile d’indiquer ce qui a manqué aux compositions dramatiques du siècle présent pour exciter de profondes sympathies. Je n’ai pas à m’occuper des vingt-cinq premières années, qui sont remplies par l’imitation stérile du passé. Tous les essais qui appartiennent à cette période sont aujourd’hui si profondément oubliés, que les blâmer ou les défendre serait également puéril. Je ne veux parler que des œuvres qui se sont produites dans les dernières années de la restauration et sous le gouvernement de Louis-Philippe. Or, si l’on compare les doctrines littéraires qui ont inspiré ces œuvres à l’état de l’esprit public, on est saisi d’un singulier étonnement. Quel était le but avoué de ces doctrines? La résurrection du passé sans aucun blâme pour le régime féodal, pour la monarchie absolue. Il ne s’agit pas ici de décider jusqu’à quel point ces doctrines ont réalisé l’objet de leur ambition. Il nous suffit de savoir qu’elles voulaient nous offrir l’image du passé sans faire acception du présent. Que voulait au contraire l’esprit public? Chacun le sait, et la réponse est dans toutes les bouches : l’application franche et loyale des principes de 89. Ainsi la poésie dramatique, au lieu d’interroger la foule et d’étudier les sentimens qui l’animaient, se complaisait dans un rêve solitaire, et protestait à son insu contre la marche des idées. Si, en même temps qu’elle promettait la résurrection du passé, elle eût pris la peine de l’étudier, elle n’aurait pas tardé à comprendre que le sens des événemens accomplis varie à mesure que s’accomplissent des événemens nouveaux, que l’esprit le plus impartial ne peut se dérober tout entier aux idées, aux passions qui dominent son temps, que tous les siècles nous présentent tour à tour l’application et la violation de la loi morale, que toutes les causes perdues ne sont pas des causes mauvaises. Eclairée par le témoignage des historiens vraiment dignes de ce nom, elle aurait abandonné son projet, et n’aurait plus songé à nous offrir l’image du passé sans blâme pour l’injustice triomphante, sans sympathie pour le droit opprimé. Livrée à elle-même, ne relevant que de la fantaisie, dédaignant l’étude pour conserver toute sa liberté, elle a méconnu de plus en plus l’état de l’esprit public, et la foule, qui ne trouvait pas au théâtre l’écho de ses passions, l’expression de ses espérances, a laissé aux oisifs le soin de prononcer sur le mérite de ces œuvres sans entrailles. Aux yeux des hommes lettrés, les œuvres dramatiques comprises dans le .second quart du siècle présent ont le grave défaut de n’offrir qu’une image très infidèle du passé. Ce reproche est tellement facile à justifier, que je me borne à l’énoncer. Quand on sort du domaine purement littéraire pour entrer dans le domaine de la philosophie, on s’aperçoit que l’école dramatique de la restauration, en même temps qu’elle ignorait le passé, ne