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justement adresser au style de ses œuvres dramatiques n’effacent pas les services qu’il a rendus à la France, à l’humanité tout entière. Le théâtre de Voltaire, que je ne voudrais pas recommander comme un type de correction, n’a pas exercé sur la nation une influence moins salutaire que l’Esprit des Lois et les Lettres persanes. Qu’on n’imite ni Zaïre, ni AIzire, ni Mérope, ni Mahomet, je le comprends, et tous les hommes de goût doivent se rallier pour donner un tel conseil; si l’imitation de ces ouvrages est dangereuse, ce n’est pas une raison pour les dédaigner. Là où se trouve la puissance, il y a toujours quelque chose à étudier. Pour agir sur son temps, pour le gouverner comme Voltaire, il faut posséder des facultés supérieures. Les railleries, les invectives, les anathèmes ne prévaudront pas contre l’évidence. Dans l’histoire, dans la philosophie, dans la poésie, l’auteur de Mahomet n’occupe pas le premier rang, cela est vrai, mais dans ce triple domaine il a touché à toutes les idées généreuses qui pouvaient améliorer la condition du pays. N’est-ce donc rien que d’avoir éveillé, exalté tous les esprits, de leur avoir donné la passion de la vérité, de la justice? Les spectateurs qui venaient d’assister à la représentation d’Alzire ou de Mahomet étaient animés de sentimens plus élevés. Au lieu de circonscrire leur passé dans le champ des intérêts personnels ou des intérêts de famille, ils rêvaient pour leur pays un gouvernement plus libéral; après avoir conçu l’idée de patrie avec tous les devoirs qui s’y rattachent, ils arrivaient à concevoir l’idée de l’humanité sans acception de langue ou de climat. Cette application cosmopolite de la pensée, que la France doit à Voltaire aussi bien qu’à Montesquieu, occupe dans notre histoire une place trop considérable pour qu’il soit permis de traiter avec dédain les instrumens sans lesquels elle n’aurait jamais pu se réaliser. Or le théâtre de Voltaire est un de ces instrumens, ne l’oublions pas. S’il néglige trop souvent les conditions de la beauté, il enseigne toujours la tolérance et la justice. Ceux qui voudraient nous ramener au régime du moyen âge ont cent fois raison de maudire Voltaire. Ceux qui ne croient pas à la résurrection du passé doivent le bénir comme un bienfaiteur.

En regard de Voltaire, je trouve la figure de Beaumarchais. Le Mariage de Figaro continue l’œuvre commencée par l’Essai sur les Mœurs et par Mahomet. Ce que j’ai dit des tragédies de Voltaire, je suis forcé de le répéter à propos des comédies de Beaumarchais. Si, pour estimer le Mariage de Figaro, la plus célèbre et la plus puissante de toutes ses œuvres, on choisit un point de vue purement littéraire, on est forcé de prononcer un jugement qui ne s’accorde pas avec l’opinion généralement accréditée. Si, au lieu de s’en tenir à la question de goût, on place le Mariage de Figaro en face de la