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conditions de la beauté, on pourrait n’en parler qu’en passant. Mérope et Sémiramis, Zaïre et Mahomet, n’ont certainement pas une grande valeur poétique, et je n’entreprendrai pas de les défendre : une page de Cinna ou d’Athalie est un sujet d’étude plus profitable que les ouvrages dont je viens de rappeler le nom. Si en regard de ces ouvrages on place le mouvement intellectuel et moral de la France, on est obligé d’attribuer à Sémiramis, à Mérope, à Zaïre, à Mahomet, une immense importance, car ces tragédies, si défectueuses à quelque point de vue que l’on se place, infidèles aux enseignemens de Sophocle aussi bien qu’aux enseignemens de Shakspeare, ont popularisé, par la pompe de la scène, par la mélodie, sinon par la pureté du langage, toutes les idées dont la philosophie avait établi la légitimité. Égalité de tous devant la loi, liberté de conscience, voilà ce que Voltaire propageait sous la forme dramatique après l’avoir propagé dans ses livres d’histoire. Il est permis sans doute de placer l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des Nations fort au-dessus d’Alzire et de l’Orphelin de la Chine. Je crois même que tous ceux pour qui les lettres ne sont pas un simple divertissement sont amenés, bon gré mal gré, à cette conclusion. Cependant, si Voltaire, pour populariser les idées qui lui semblaient vraies, n’eût employé que la forme historique ou philosophique, s’il eût négligé ou dédaigné la forme dramatique, il n’aurait certainement pas conquis la puissance dont l’action salutaire se fait encore sentir aujourd’hui. Trois quarts de siècle nous séparent de lui, et son âme habite encore parmi nous. Les causes qu’il a plaidées sont des causes gagnées, et les mensonges qu’il a terrassés essaient en vain de relever la tête.

Placé en dehors de l’histoire, comparé aux grands modèles que l’antiquité nous a laissés, aux modèles souvent moins purs, mais parfois aussi grands, que nous trouvons dans les temps modernes, Voltaire mériterait à peine quelques jours d’étude, et l’on aurait peine à comprendre le crédit prodigieux dont il a joui. Qu’on le juge comme acteur et non comme poète, qu’on demande aux événemens accomplis pendant sa vie le commentaire de ses œuvres, et cette figure, tout à l’heure presque insignifiante, s’agrandit singulièrement. Cet homme que l’ignorance et la superstition maudissent à l’envi, né vingt et un ans avant la mort de Louis XIV, a pressenti et préparé la transformation politique de la France. Les principes qui ont triomphé en d789 se trouvent démontrés dans ses livres d’histoire et de philosophie, et présentés sous une forme vivante et populaire dans ses œuvres dramatiques. Un homme qui a fait de telles choses, qui a remué si profondément son pays, qui a préparé l’œuvre de Siéyès et de Mirabeau, n’occupera jamais le second rang, de quelque manière qu’on l’envisage. Les reproches qu’on peut très