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jusque-là ils n’avaient pas été soumis. On décréta enfin la suspension absolue, jusqu’au 1er septembre 1847, non-seulement de tout droit à l’importation des grains, mais aussi des lois de navigation qui restreignaient l’importation en élevant le fret, et les plus fermes partisans du système protecteur, tout en faisant leurs réserves contre la politique générale du cabinet, votèrent eux-mêmes ces mesures, dont ils ne laissaient pas cependant d’entrevoir la portée. « Quand j’ai vu, dit lord George Bentinck, les intéressés dans la navigation se joindre à la ligue contre la loi des céréales pour en amener forcément la révocation, j’ai prévu qu’eux aussi ils auraient bientôt leur tour, et qu’ils porteraient la peine de leur aveugle entraînement. »

Lord George Bentinck ne se trompait pas : à peine la suppression temporaire des lois de navigation était votée, que M. Ricardo demanda à la chambre des communes la formation d’un comité pour étudier les effets actuels de ces lois, et sir Robert Peel appuya la motion. « Plusieurs fois déjà, dit-il, entre autres en 1815 et en 1824, vous avez relâché les lois de navigation ; examinons mûrement si les changemens naguère introduits dans notre politique commerciale n’exigent pas aussi dans ces lois quelques modifications. » L’alarme se répandit au sein du peuple maritime, dans les chantiers et dans les ports, parmi les armateurs, les constructeurs, les navigateurs. Le 9 février 1848, vingt mille matelots se réunirent, conduits par les maîtres d’équipage des bâtimens qui se trouvaient dans la Tamise : tous les bateaux à vapeur, toutes les embarcations du fleuve, au bruit d’une musique populaire et toutes bannières déployées, portèrent cette vaste procession jusqu’au pont de Westminster, et elle se rendit de là au palais de Buckingham pour présenter à la reine un mémoire en défense des lois de navigation ; mais trois mois après, le 15 mai 1848, le cabinet lui-même, par l’organe du président du bureau du commerce, M. Labouchère, proposa la réforme de ces lois. Après un long débat, à deux heures après minuit, ranimant l’intérêt de la chambre fatiguée, sir Robert Peel appuya énergiquement la mesure. Elle fut votée en principe, et l’année suivante, le 11 juillet 1849, malgré une forte résistance de la chambre des lords, la libre concurrence fut établie dans la navigation comme dans le commerce anglais.

Ramenées soit par le cours naturel des affaires, soit par les manœuvres de l’opposition, presque toutes les questions qu’avait eu à traiter le gouvernement de sir Robert Peel, aussi bien celles qu’il avait résolues que celles qui étaient restées en suspens, reparurent sous ses successeurs : l'income-tax, le système monétaire et l’organisation de la banque, l’état des colonies, les droits sur les sucres,