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s’accroissait de jour en jour, l’invention était une forme de combat : le premier devoir du poète n’était pas de plaire, d’amuser, mais de servir la cause commune, l’émancipation du tiers-état. Cette remarque, justifiée par les faits, ne saurait changer les conditions fondamentales de la poésie; aussi je n’essaierai pas de défendre les œuvres dramatiques du XVIIIe siècle. Si l’on ne veut y voir qu’un exercice d’imagination, on est obligé de ne leur attribuer qu’une valeur très limitée. Ce n’est là saisir qu’un seul côté de la question, et l’on arrive à l’injustice par l’application rigoureuse du droit. Ce qu’on reproche d’ailleurs à la poésie, on peut le reprocher à l’histoire, à la philosophie. L’étude des faits accomplis, l’étude des lois qui président au développement de l’intelligence, n’ont rien à démêler avec la condition dans laquelle nous sommes placés : la science n’a pas d’autre but que la vérité; toutes les fois qu’on essaie de lui assigner un but moins élevé, on la détourne de sa voie légitime. Eh bien! le XVIIIe siècle ne séparait pas l’histoire et la philosophie de ses vues politiques. Il ne comprenait pas l’étude désintéressée, l’étude prise en elle-même; il se préoccupait de l’application des connaissances acquises, et cette pensée constante ne lui permettait pas d’apercevoir nettement toutes les faces de la vérité. Si la beauté des œuvres poétiques, de 1715 à 1789, est très incomplète, les œuvres historiques et philosophiques comprises dans cet espace de temps ne sont pas toujours d’accord avec la réalité des faits accomplis dans le monde extérieur ou dans le domaine de la conscience. Est-ce une raison suffisante pour condamner avec dédain les historiens et les philosophes du siècle dernier? Non sans doute, car s’ils ont négligé une partie des devoirs qui leur étaient imposés, s’ils n’ont pas agrandi le champ de la science, ils ont bien mérité de notre pays par leur dévouement.

Sans doute ces idées générales ne s’appliquent pas avec une égale rigueur à toutes les œuvres dramatiques du XVIIIe siècle; mais les exceptions qu’on pourrait citer n’ont pas grande importance. Les écrivains de ce temps qui n’ont rien fait pour l’émancipation de la pensée méritent à peine l’attention de l’historien. Parlerai-je de Marivaux, que le talent de Mlle Mars avait remis à la mode, et que Mme Plessy ne réussit pas à soutenir? Ses comédies ont amusé les esprits oisifs, et peuvent encore tromper l’ennui des femmes qui n’ont jamais connu la passion, et ne cherchent partout qu’une distraction frivole. Cependant on ne saurait donner Marivaux pour l’expression fidèle de la vie française au siècle dernier. Je laisse de côté son style, qui ne se recommande pas précisément par la pureté, quoi que puissent dire ses admirateurs, pour ne m’attacher qu’aux sentimens qui animent ses personnages. En quel temps, en quels