Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

octobre !! Toutes deux sont signées Virginia, et d’une même écriture d’écolier, La première, écrite dans un anglais plus qu’incorrect, n’est qu’une fade idylle où les grands mots dissimulent mal l’absence des sentimens sincères du cœur. Quant à la seconde, avant de la reproduire, ce ne sera pas par une vaine précaution oratoire que je m’excuserai de mettre sous tes yeux ces pages, qui semblent puisées aux sources les plus empoisonnées de strychnine littéraire. Cette lettre est ainsi conçue, et je t’épargne les fautes d’orthographe semées à profusion dans l’original.


« Mon vieil ami,

« Andrew est parti avant-hier pour London, et je viens de me mettre en règle avec lui par une lettre qui sèche en ce moment sur ma table ; il est temps de m’occuper de toi et un peu de mes affaires, auxquelles tu t’intéresses, je le sais par expérience, avec l’amitié, disons d’un frère pour gazer. Depuis quatre mois, tout va à merveille ; l’enfant ne voit que par mes yeux, n’entend que par mes oreilles. Tout a passé comme une lettre à la poste, tout, oui, tout ! Ne ris pas comme cela, c’est indécent.

« Il est vrai que je joue un peu joliment mon rôle de jeune femme timide et sans fard, et ne néglige rien de ce qui peut soutenir mon caractère, pas plus l’anglais, how de you do, que la religion. J’ai deux bibles, l’une in-quarto, que je cultive con amore le dimanche ; de plus, le jour du sabbat, quel sabbat ! on mange froid, et comme divertissement nous nous livrons à la musique sacrée ; mais en déplaçant l’épithète, tu auras une idée plus exacte de la chose. Tenue sérieuse, plus de couleurs tranchantes, du noir et de la carmélite, un séduisant chapeau cloche, et toujours le même. Aussi, quand je pense à mon compte de douze mille francs chez Laure il y a deux ans, vrai, je crois à la métempsycose. Enfin, pour te donner une idée complète de mes occupations et de mes plaisirs dans cette aimable Albion, il me faut ajouter que je vais voir les pauvres à domicile et fais ma visite quotidienne à l’école des jeunes filles. Si je ne suis pas canonisée d’emblée, c’est qu’on y mettra de la mauvaise volonté à Rome. Ce n’est pas là toutefois l’important : l’important, c’est que ma réputation de sainteté arrive à une bonne femme de mère puritaine dont nous jouissons, et que, dans un moment d’enthousiasme pour tant de vertus, elle se décide à nous embrasser, Andrew et moi, en nous appelant ses enfans, comme cela se pratique aux boulevards de toute éternité. Le plus important, le plus difficile encore, c’est de se faire accepter par sir Josias Ashton, un oncle que nous avons et qui connaît son Paris, où il a mangé centaines sur centaines de mille, quoiqu’il soit encore riche comme Crésus. Dans ma position, je ne