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cette autre grande question que l’Europe a entrepris de résoudre en plaçant sous sa garantie la liberté et la sûreté de la navigation du Danube.

Quant aux divergences qui ont surgi à propos de la délimitation nouvelle de la Bessarabie, ce sont peut-être les plus graves et les plus difficiles à concilier. Les premières conditions soumises à l’acceptation du cabinet de Saint-Pétersbourg avaient indiqué une ligne de division qui, par une circonstance singulière, ne s’est point trouvée en rapport avec les dispositions topographiques des lieux. Le traité de Paris traçait donc une ligne nouvelle d’après des cartes présentées par la Russie elle-même. Or il se trouve que les cartes russes, en reproduisant plus fidèlement la configuration des lieux, n’étaient pas encore complètement exactes, quant à la détermination des points principaux de délimitation. Toute la difficulté réside dans la ville de Bolgrad, que le gouvernement russe refuse d’abandonner, et que les puissances européennes considèrent comme devant appartenir au territoire cédé. Si on s’arrête à la lettre stricte du traité, la Russie, on ne peut le nier, paraît être dans son droit. Si on suit rigoureusement la ligne indiquée, la délimitation est arbitraire et même impraticable ; elle scinde tous les intérêts des habitans. La Russie reste par subterfuge en possession d’un point que les puissances n’ont pas voulu lui attribuer. L’aspect des lieux a suffi pour révéler l’impossibilité d’une telle frontière. Maintenant, si cette impossibilité est le résultat de l’inexactitude des cartes d’après lesquelles la ligne de division a été tracée, il s’ensuit que la rectification doit s’opérer dans le sens des intentions de l’Europe. Il y a d’autant plus de raisons pour qu’il en soit ainsi, que la Russie avait obtenu déjà de suffisantes concessions à la faveur de l’inexactitude des premiers tracés. La question est donc aujourd’hui posée et débattue dans ces termes. Ce ne sont là, si l’on veut, que des difficultés secondaires, des difficultés qui ne peuvent certainement conduire à un conflit ou à une rupture nouvelle. La paix générale n’est point sans doute à la merci de ces dissidences.

Dans cette succession de petits faits, de petites querelles, n’aperçoit-on pas cependant une sorte de travail prémédité et obstiné de la Russie pour chercher à regagner peu à peu, en détail et en lassant l’Europe, le terrain qu’elle a perdu ? Le cabinet de Saint-Pétersbourg ne violera pas avec éclat et par des procédés trop directs le traité qu’il a signé ; mais qu’on observe sa conduite en Orient depuis que la paix est rétablie. Il ne se retire qu’à la dernière extrémité des villes occupées momentanément par ses soldats ; si par hasard il existe une lacune, une omission, il se glisse aussitôt par cette issue, prenant des positions qu’on a oublié de mentionner, se faisant une arme des indications inexactes ; il détruit les forteresses qu’il est obligé d’abandonner, il vend même les établissemens publics avant de se retirer : cela est arrivé, dit-on, à Ismaïl. Quelque réelle qu’ait pu être sa défaite, la Russie n’a point assurément renoncé d’un jour à l’autre à sa politique en Orient, et c’est là le plus puissant motif pour que l’Europe travaille in-