Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/909

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

collines est entraînée loin des hauteurs qu’elle devrait continuer à recouvrir et à rendre fertiles. Pour éviter cet inconvénient, tout le monde a pensé à des fossés creusés en travers de la pente pour arrêter les eaux et les terres qu’elles entraînent. Ces fossés devraient être plantés et défendus contre la dévastation ordinaire des bûcherons et du bétail. Toutes les crêtes des collines devraient sans retard être boisées, ce qui aurait le double avantage de produire la pluie, comme nous l’avons dit déjà, et ensuite d’en retenir les eaux bienfaisantes. Ensuite, de proche en proche, la végétation gagnerait de l’espace et refertiliserait la terra. Quant à la mise à exécution de ces travaux, dont la dépense serait en partie supportée par les propriétaires, je me hasarderai à reprendre une idée que j’ai déjà émise dans cette Revue, à savoir l’organisation de régimens de planteurs pris parmi les vétérans de l’armée. On utiliserait ainsi, dans des travaux qui seraient à peu près analogues à ceux des jardiniers, la vieillesse et une partie de l’âge mûr d’hommes estimables dont on assurerait la subsistance jusqu’à leur mort. Leurs habitudes de subordination, la régularité de leur travail, le bas prix auquel on s’assurerait leurs services, comme complément de pension de retraite, feraient de ces corps d’utiles auxiliaires à l’agriculture. Nos ancêtres, qui n’avaient pas notre puissante organisation financière, donnaient les invalides à des bandes nombreuses d’anciens soldats, en les employant à bâtir des monastères ou des basiliques dont la dimension nous étonne aujourd’hui, et qu’ils terminaient rarement. On pourrait les employer plus utilement aujourd’hui à fertiliser le sol, et à porter remède aux dévastations que des exploitations peu prudentes ont commises en déboisant des contrées entières outre mesure, en faisant même disparaître toute trace de végétation sur des coteaux autrefois productifs. Ils pourraient aussi exécuter une portion des travaux d’irrigation ou de drainage que réclame l’état agricole actuel de la France. On les appliquerait à la fertilisation des vastes terrains qui sont perdus à l’embouchure de nos rivières et sur les côtes de la mer, ou recouverts de sables susceptibles de culture par l’amendement du sol et la fixation des dunes. C’est aux hommes d’état qu’il appartient de réclamer de nos sciences modernes tous les services que demande la société actuelle, il n’est point de gloire qui vaille le bonheur d’être utile, ou plutôt c’est la plus brillante de toutes les gloires que celle de faire quelque chose pour le bien public. Deus est juvare mortalem. Suivant cette belle pensée de Pline, c’est même participer à la divinité que de venir en aide aux hommes.


BABINET, de l’Institut.