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la faire aller deux fois moins vite, c’est comme si on en réduisait les eaux à moitié, puisque l’on gagne deux fois plus de temps pour en opérer l’écoulement. J’adopterai cette manière de voir, qui me paraît très rationnelle. Il s’agira donc de placer au travers des cours d’eau qui deviendront menaçans des barrages momentanés qui diminueront la pente et la dépense de ces cours d’eau, et par suite les rendront inoffensifs.

La question ainsi posée, il nous faut imaginer un barrage momentané, facile à établir sans travaux préparatoires longs et dispendieux, — et qui puisse entraver la marche du courant jusqu’au moment où la masse de ses eaux n’offrira plus de danger. En ce genre, rien ne me paraît plus praticable que d’avoir de grandes caisses creuses en fonte, pareilles à celles dans lesquelles on embarque des provisions d’eau à bord des grands bâtimens de la marine. Ces caisses, d’ailleurs très solides, flottent facilement quand elles sont vides, et sont par suite d’un transport aisé. Après les avoir amenées en travers du courant, on les relierait l’une à l’autre par des chaînes courtes et solides, et on ferait de leur ensemble une espèce de pont flottant. En les laissant ensuite se remplir d’eau par une ouverture convenable, ces caisses s’enfonceraient jusqu’au seuil de la rivière, et mettraient à l’écoulement des eaux un obstacle dont l’ingénieur réglerait à volonté la puissance et l’effet. La pose d’un pareil barrage ne serait guère plus difficile que l’établissement d’un passage sur pontons au travers d’une rivière quelconque, et plus tard, pour rendre les caisses susceptibles de flotter de nouveau et d’ètre transportées ailleurs, il suffirait de les vider de l’eau qu’on aurait laissée s’y introduire. J’avais à deux reprises fait proposer au pacha d’Egypte ce système de barrage pour élever le niveau des eaux du Nil sans constructions difficiles ou dispendieuses; malheureusement c’était en 1840, lors de l’expédition anglaise, et je n’ai point reçu de réponse à mes communications. Plusieurs de nos ingénieurs les plus illustres ont donné leur approbation à ce système de barrage mobile, mais c’est surtout en matière d’hydraulique qu’il faut laisser à l’expérience le droit de prononcer. Le maître souverain, c’est le succès, usus magister. C’est une autorité irrécusable.

Voilà donc ce qu’on peut faire pour diminuer les effets des grandes crues subites, prévues ou non. Un préservatif extemporané et momentané est opposé à une menace passagère et à un danger de courte durée. Ici tout est logique. Mais ne conviendrait-il pas d’organiser le sol même de manière à prévenir ces entassemens d’eaux si menaçans, qui semblent se former aujourd’hui plus fréquemment que dans les siècles passés?

On peut déjà reconnaître que la culture, qui, par l’établissement de fossés et de tuyaux de drainage, rend l’écoulement des eaux pluviales plus prompt et leur arrivée plus rapide dans les cours d’eau permanens, que la culture, disons-nous, a contribué à donner à nos rivières un régime torrentiel. Les cours d’eau, par le rapide écoulement des produits de la pluie, s’enflent démesurément et ravinent leur lit. En même temps la terre végétale des