Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’excessive chaleur, l’humidité des vallées étroites et profondes, les miasmes pestilentiels qui s’exhalent des marais voisins de la mer, entretiennent sur les côtes les fièvres pernicieuses des tropiques. Pendant l’hiver, il avait peu de chose à craindre; mais au printemps le vomito negro pouvait emporter la moitié de ses soldats, mal acclimatés, et le laisser presque seul. Il s’en effrayait d’autant plus, qu’il se sentait menacé par un danger non moins redoutable.

D’abord surpris et consternés par la vivacité imprévue de ses mouvemens, les habitans du Nicaragua comptèrent leurs envahisseurs et reprirent courage. Une partie des troupes régulières s’enfuit dans les états voisins de Honduras, de Guatemala, de San-Salvador et de Costa-Rica. La grande majorité resta dans le pays, soumise à l’autorité de Walker, mais gardant ses armes, et, sous une neutralité apparente, se tenant prête à commencer les hostilités. Dans une contrée presque déserte et sans routes, un simple village peut devenir un centre de résistance. Walker, invincible tant qu’il gardait sa petite troupe serrée autour de lui, ne pouvait, sans le plus grand danger, envoyer des détachemens à la poursuite des insurgés qui tenaient encore la campagne. Dans cette situation critique, il découvrit que la trahison s’était glissée dans ses conseils. Le malheureux Corral se repentit bientôt de sa faiblesse, que ses anciens amis appelaient trahison. Trahir pour soi-même n’est rien, le but sanctifie les moyens; mais trahir pour des étrangers qui méprisent le traître après s’en être servi, c’est le comble du malheur et de la honte. Les restes du parti de Chamorro, qui s’étaient réfugiés dans le petit état limitrophe de Costa-Rica, renouèrent correspondance avec lui. Corral leur écrivit de reprendre courage et de se concerter pour lui prêter secours quand le moment d’agir serait venu. Pendant qu’il jouait ce rôle à double face et qu’il se flattait de renvoyer Walker à la Nouvelle-Orléans, un de ses propres officiers, le général Valle, plus connu sous le nom de Chelon le Chasseur, découvrit la trahison à Walker et lui en remit les preuves écrites.

Walker frémit du danger qu’il avait couru. Corral, ministre de la guerre, populaire au Nicaragua, jouissant d’une réputation de courage assez rare sous cette latitude, pouvait soulever tout le peuple contre lui. Walker le fit traduire devant un conseil de guerre qu’il présida lui-même. La sentence n’était pas douteuse. Il fut condamné à mort et fusillé sur-le-champ par ordre de Walker, qui était à la fois son accusateur et son juge. Que Corral eût violé les lois de la guerre en conspirant contre un gouvernement dont il était membre, cela n’est pas douteux; mais trahir l’ennemi de sa patrie, est-ce trahir? Je laisse à d’autres le soin d’en décider. J’avouerai pourtant que je n’ai jamais pu m’indigner sincèrement contre ces Saxons qui, sur le champ de bataille de Leipzig, au plus fort de la mêlée, tournèrent leurs canons contre nous et sauvèrent l’indépendance de l’Allemagne au prix de leur honneur militaire. Les traités de Vienne leur ont peut-être donné des