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tous les Yankees, et qui n’engage en rien leur conscience ou leur conduite, on feignait de s’y tromper et de voir dans cet aventurier un saint et un martyr.

Comme ces manœuvres ne suffisaient pas pour lui assurer des subsides dont il avait un pressant besoin, on eut recours à d’autres moyens pour exalter l’imagination populaire. On faisait des descriptions merveilleuses du Nicaragua. C’était la terre promise, l’Éden retrouvé. Les plantes les plus utiles, les fruits les plus agréables y croissaient d’eux-mêmes, en plein champ et sans culture; le ciel y était toujours pur et serein, la température toujours égale, et, malgré le voisinage de l’équateur, rafraîchie par les vents qui soufflaient des deux Océans; le pays était si salubre, que tout le monde y devenait centenaire. Enfin, chose plus merveilleuse encore, les femmes espagnoles, d’une beauté angélique et d’une grâce enchanteresse, avaient un faible pour les jeunes Yankees, surtout pour ceux qui portent les armes et qui s’enrôlent sous les drapeaux de Walker. « Même parmi les Indiennes, dit un écrivain américain, la simplicité la plus raffinée, la coquetterie la plus innocente, les vertus les plus exaltées se joignent à l’amour de la justice, tempéré par une douceur qui apaise la colère des hommes, toujours irritables et portés aux querelles. »

Comment résister à des promesses si séduisantes? En même temps tous les journaux du sud des États-Unis, obéissant au même mot d’ordre, représentaient Walker comme trahi par le gouvernement fédéral et livré à la haine des Anglais. On vantait le désintéressement avec lequel il avait refusé la présidence. Il avait dédaigné le pouvoir. Il n’avait voulu garder que le droit de mourir pour la liberté du peuple de Nicaragua. Désavoué par sa patrie, traité publiquement de pirate sans foi ni loi, il avait résisté à tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, il les avait vaincus et dispersés. Sa grande âme paraissait tout entière dans ces bulletins modestes où il racontait sa victoire. Sans dissimuler ses pertes, passant sous silence ses propres exploits, il relevait ceux de ses compagnons. Il prévoyait néanmoins que, ses ennemis devenant plus nombreux, il pourrait succomber, mais il était heureux de verser son sang pour la liberté; il se consolait de mourir en pensant qu’un jour sa patrie recueillerait le fruit de ses travaux. — N’est-ce pas là, disait enfin un banquier enthousiaste qui avait engagé 100,000 dollars dans l’invasion du Nicaragua, le cœur de Washington avec la tête et le génie de Napoléon?

On le voit, des argumens de toute sorte étaient employés par les amis de Walker pour exciter les passions populaires. A ceux qui se piquaient de vues politiques plus étendues, on donnait des raisons plus positives. Qu’importe, disait-on, la justice ou l’injustice de son entreprise? Elle est utile aux États-Unis; que nous faut-il de plus? Laisserons-nous le Nicaragua, échappé de nos mains, tomber aux mains des Anglais? L’intérêt de la patrie, voilà la suprême justice. Parmi ceux qui soutenaient le plus ardemment la doctrine