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divine, et acquiert une énergie irrésistible, une force surhumaine qui frappe de près et de loin, comme la foudre. De la cet aphorisme qu’on retrouve dans les textes anciens : la méditation austère produit la puissance sur toutes choses. Cependant cet éclat latent, ce feu caché comme celui que recèle un volcan, n’attire point sur l’homme contemplatif les respects de la foule. Eût-il acquis le don des miracles, l’ascète retiré au fond des forêts passe ses jours dans l’oubli, tandis que le roi coule au sein des richesses une existence toujours brillante, toujours radieuse et partant digne d’envie. Suffit-il à l’homme d’avoir le sentiment de sa propre grandeur et de sa supériorité morale pour qu’il se résigne à ne rien chercher, à ne rien désirer de plus sur la terre ? Question d’une haute portée assurément, et que les brahmanes semblent s’être posée eux-mêmes le jour où, contraints d’abandonner aux rois le pouvoir temporel, ils se demandèrent si leur part en ce monde était encore la plus belle. Eh bien ! disons-le à la gloire du brahmanisme, cette question, ils l’ont résolue affirmativement, — par orgueil peut-être ; — toujours est-il qu’ils n’ont pas craint d’exprimer leurs motifs et de conclure au grand jour. Au lieu d’une discussion abstraite, c’est une légende qu’il s’agit d’étudier ; sans avoir à nous appesantir sur des considérations philosophiques, il suffira d’analyser rapidement un petit drame plein de mouvement et tout empreint d’une rêveuse mélancolie.

Le premier ancêtre de la race aryenne, Manou, est-il dit dans le Bhagavat-Pourâna[1], eut deux fils : Pryavrata (celui qui se voue à l’affection d’autrui) et Outtânapâda (celui qui va droit en avant). Celui-ci était roi ; il épousa deux femmes, Sounîtî (la bonne conduite) et Souroutchî (la beauté gracieuse). Le sens de ces noms propres laisse apercevoir l’allégorie qui commence à poindre ; on devine laquelle de ces deux épouses sera la favorite du roi. La première lui a donné un fils, nommé Dhrouva (celui qui est fixe dans ses pensées) ; de la seconde, il a un autre fils, Outtama (le premier parmi ses égaux, optimus), et c’est à l’enfant de la beauté et de la grâce qu’il accorde ses préférences aux dépens de celui qui a pour mère la vertu solide. Cependant Dhrouva, destiné à devenir un sage, n’apportait point en naissant l’égalité d’âme qu’exprimait son nom. Il était jaloux de son frère Outtama, et, l’ayant vu un jour reposer sur les genoux de son père assis sur le trône, il éprouva un vif désir de monter à la même place. Le roi y eût consenti, mais la mère de l’autre enfant, la favorite Souroutchî, étant présente, il eut peur de lui déplaire, et repoussa Dhrouva. De son côté, la belle Souroutchî, irritée des prétentions de l’enfant, lui dit avec dédain : « Pourquoi

  1. Vol. II, liv. IV, chap. 8 de la traduction de M. Eugène Burnouf ; voir aussi le Vichnou-Pourâna de M. Wilson, p. 54 et suiv.