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liberté des peuples. Il y a bien, il faut l’avouer, quelque chose de vrai dans ce portrait peu flatté ; mais la jalousie nationale en a tracé les principaux traits. On verra bientôt ce qu’il en faut croire. D’un autre côté, suivant les journaux de New-York, du Kentucky et de la Louisiane, Walker est un héros, martyr de son enthousiasme pour la liberté. Ses amis, l’élite des honnêtes gens du Nouveau-Monde, n’ont en vue que le bonheur des hommes et la prospérité de l’Amérique centrale. Ils se partagent, dit-on, les meilleures terres du Nicaragua et le contenu des caisses publiques ; mais ne faut-il pas que le prêtre vive de l’autel ? Enfin c’est à leurs efforts qu’on devra le percement si désiré de cet isthme qui est le seul obstacle au commerce de quatre continens et aux progrès de la civilisation.

Parmi ces assertions contradictoires et affirmées de chaque côté avec une chaleur égale, il est assez difficile de se décider. Jusqu’ici cependant, dans l’opinion de l’Europe, les Anglais ont l’avantage ; mais cet avantage vient principalement de ce qu’ils ont seuls la parole dans le débat. Très peu de gens en Europe lisent les journaux américains. Ceux qui les lisent sont prévenus contre la presse yankee par les habitudes d’exagération et de criaillerie communes à toutes les républiques démocratiques, et ne réfléchissent pas que, pour mentir avec des formes plus polies et plus sociables, on ne ment pas avec moins d’impudence dans les monarchies. Aussi voit-on s’établir sans contradiction l’opinion que les Yankees sont une race de gens sans aveu ni scrupule, qui ne connaissent d’autre droit que la force et d’autre loi que leur bon plaisir. Pour nous, qui malheureusement sommes trop désintéressés dans la querelle, nous pouvons, sans flatter personne, suivre les traces de la vérité parmi ces témoignages divergens. À cette distance, l’histoire est impartiale. L’espace a, comme le temps, la propriété de mettre les objets à leur vrai point de vue. Il importe peu à l’Europe que le canal qui doit percer l’Amérique centrale et servir à la communication des deux Océans appartienne à l’Angleterre ou aux États-Unis, si l’usage de ce canal devient un monopole aux mains de ceux qui l’auront construit. Le Nicaragua ne doit être ni une colonie anglaise ni une colonie américaine, mais une grande route ouverte à tous les peuples. Quiconque veut confisquer à son profit exclusif une entreprise qui est la propriété du genre humain est l’ennemi de toutes les nations.

Ce n’est pas ici le lieu de donner une description détaillée de l’Amérique centrale. Ce pays, autrefois si peu connu, est devenu, grâce à Walker et aux documens diplomatiques des Anglais et des Américains, aussi célèbre en Europe que la Crimée après la bataille de l’Aima. Cependant, pour bien montrer l’importance de la position dont Walker s’est emparé, il est nécessaire de rappeler en quelques mots la géographie de la contrée.

Au sud du Mexique, au nord de la Nouvelle-Grenade, joignant les Andes du Mexique à celles de l’Amérique méridionale, s’étend un plateau élevé dont