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à se coaliser contre l’homme honnête et capable qui paraît devenir l’objet de la faveur du prince.

Cette réprobation des nouveautés, même dans les arrangemens administratifs, était surprenante de la part d’un homme qui était lui-même, selon l’expression de M. Mollien, un grand miracle de nouveauté. L’empereur se faisait illusion quand il se supposait enfin accepté par l’Europe. Nous qui vivons cinquante ans après, nous trouvons non-seulement injuste, mais insensé, qu’il ne le fût pas, parce que nous le voyons avec l’auréole de gloire que tant de hauts faits, tant de manifestations d’un génie supérieur en vingt genres divers, ont irrévocablement déployée autour de son front. Nous avons perdu jusqu’au souvenir des passions ardentes qui couvaient la pensée de le renverser. Sainte-Hélène ne nous apparaît plus que comme un piédestal qui lui donne une nouvelle grandeur. Ce rocher, sur lequel en 1815 l’inhumanité des cabinets le cloua comme un autre Prométhée, est pourtant la preuve visible à tous les yeux de ce que n’avaient pas cessé d’être les haines contre Napoléon, et de ce qu’elles devaient faire une fois qu’elles ne seraient plus comprimées par la force immense qu’il avait organisée. Dans les cours de l’Europe, on ne lui connaissait pas d’ancêtres, et on n’admettait pas qu’il en fût un. Les maisons régnantes et les aristocraties n’apercevaient en lui qu’un soldat heureux qu’on redoutait parce qu’on avait éprouvé la pesanteur de ses coups, mais dont on espérait la chute prochaine. Sa fortune, tout éblouissante qu’elle était, remontait alors à onze années à peine, elle datait de 1796. Son autorité politique était de plus fraîche date encore. Les cabinets et les aristocraties le regardaient donc comme un météore destiné à disparaître après avoir jeté une lueur à leur gré sinistre. Son intérêt comme son devoir étaient de prendre sous son égide les innovations qu’attendaient les peuples de toutes parts, sauf à les concilier avec ce que commande la prudence, avec les ménagemens qui sont inséparables de la bonne politique. Et peu importe après tout le langage qu’il a pu tenir dans l’enivrement qu’il avait rapporté de Tilsitt ; peu importe même que dans la multitude infinie de ses actes on en puisse citer un certain nombre qui soient dans le même sens. Ce n’est pas là qu’il faut aller chercher l’esprit de son gouvernement ; c’est bien plutôt dans le code auquel il a eu à cœur de donner son nom, et qu’il a répandu hors de France avec une si énergique sollicitude ; c’est dans la suite innombrable des mesures politiques et administratives par lesquelles il a mis en action la pensée qui avait dicté ce code impérissable. Napoléon reste dans l’histoire comme l’agent le plus glorieux et le plus puissant d’un mouvement général de rénovation favorable au grand nombre, non-seulement en France, mais dans l’Europe entière, et