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beaucoup d’opiniâtreté dans la lutte, s’était changée en une alliée, pour le moment docile, parce qu’elle attendait de vastes agrandissemens de cette amitié qu’elle affectait de saluer comme un présent des dieux. Que pouvait raisonnablement essayer désormais la haine des Anglais contre le chef obéi de tant de rois ? Ils n’avaient plus un auxiliaire en Europe ; la France paraissait donc rentrée dans le concert des puissances européennes, dont la révolution l’avait violemment jetée hors, et Napoléon semblait admis dans la famille des rois, non comme un parvenu qu’on tolère, mais comme le Jupiter de cet olympe. Il supposait que la révolution avait définitivement enfanté un nouvel ordre européen, tout à l’avantage de l’influence française. Agiter encore les esprits par des innovations, quelles qu’elles fussent, lui semblait hors de propos et téméraire. À toute rencontre, il exhalait sa pensée par des phrases telles que celles-ci : « Que le monde était bien vieux, qu’il était au-dessus du pouvoir des hommes d’en changer la forme, que dans les routes frayées on connaissait les mauvais pas et on les évitait, mais que dans les routes qu’on voulait frayer on ne devinait pas les précipices[1]. »

L’empereur était excité dans cette humeur par les flatteurs empressés autour de lui, dont les plus ardens, autrefois chauds républicains, s’étaient transformés en ultra-monarchistes. Plus le monarque était nouveau, plus ils voulaient qu’il s’enveloppât d’institutions anciennes. Ces mêmes hommes auraient volontiers non-seulement ressuscité le cérémonial de l’ancienne cour, mais encore restauré la législation d’autrefois en ce qu’elle avait de plus offensif. Ils vantaient les jurandes et les maîtrises, les substitutions, des lois surannées sur l’usure, les prohibitions douanières, le droit de seigneuriage sur les monnaies, qui blessait le principe de la propriété. Si la tradition ne fournissait pas, à leur gré, assez de bons modèles dans l’ancienne France, il fallait en aller chercher en Autriche, en Prusse, enfin partout, excepté en Angleterre[2]. Ils étaient habiles à déverser le blâme sur les changemens qu’introduisait M. Mollien. Lorsque l’empereur avait reçu ses ministres, le 27 juillet 1807, peu d’heures après son retour des bords du Niémen, son accueil, gracieux pour tous, l’avait été avec prédilection pour son ministre du trésor, sans doute parce que dans son for intérieur il rapprochait l’heureuse gestion de M. Mollien pendant les campagnes de 1806 et 1807 des soucis extrêmes que lui avait causés l’administration du trésor pendant la campagne d’Austerlitz. Il n’en avait pas fallu davantage pour ameuter alors contre M. Mollien les limiers des cours, toujours prêts

  1. Mémoires d’un Ministre du trésor public, t. II, p. 228
  2. Mémoires d’un Ministre du trésor, T. II, p. 225.