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qui, ayant des fonds en réserve pour un placement prochain, viendraient eux-mêmes les offrir au trésor contre des engagemens à courte échéance, rapportant un intérêt modéré (5 pour 100). Par cette combinaison, le trésor devait à l’avenir se trouver constamment à jour, sauf des cas imprévus et extraordinaires. Pour ces cas-là, par mesure d’exception, on se réservait de négocier à la Banque de France des obligations et des bons à vue.

De cette manière, une autre modification à la comptabilité devenait facile : on pouvait affecter à chaque exercice les recettes effectuées pendant sa durée même, y compris celles qui répondaient cependant à l’exercice antérieur. Et en effet on était assuré d’avoir en écus une somme qui couvrît le retard de la recette par rapport à la dépense. Il n’y avait donc plus d’inconvéniens à regarder les obligations et les bons à vue dus pour un exercice, mais dont la rentrée était, par la force des choses, réservée à l’exercice suivant, comme appartenant à ce dernier. Cette disposition ne gênait en rien le trésor dans ses mouvemens. On aurait pu aller au-delà et faire ce qui a été fait depuis, supprimer les obligations et les bons à vue. On n’avait besoin de ces titres ni pour astreindre les receveurs-généraux à opérer leurs versemens à des époques déterminées, ni pour traiter avec la Banque lorsqu’on serait forcé de recourir à elle. On les laissa subsister cependant comme une ressource suprême ; mais on relégua ces titres, ou du moins le montant des 124 millions, auquel on fixa ce qu’on pourrait avoir lieu de négocier, dans une position que je pourrais qualifier d’intermédiaire entre la vie et le néant. On les enferma dans un portefeuille spécial d’où ils ne devaient sortir que l’année suivante, et pour être remplacés par d’autres d’un montant égal.

La lenteur relative que mit l’empereur à rendre obligatoire l’application de la nouvelle comptabilité n’était pas de la part de ce grand homme un fait isolé ; M. Mollien en fait la remarque, de même que plusieurs des personnes qui ont vu de près Napoléon à cette époque : il manifestait alors dans ses discours une vive répugnance pour toute innovation. Après la guerre si glorieusement terminée par son génie, auquel la fortune souriait avec une constance qui ne lui est pas habituelle, il éprouva un sentiment qui ressortait, malgré lui-même, du sein de sa situation prodigieuse. Sa domination semblait acceptée de l’Europe continentale tout entière ; l’Autriche, vaincue à Austerlitz et saisie encore d’épouvante, n’osait pas remuer devant le guerrier qui l’avait dépouillée et de l’antique couronne impériale et de provinces qui lui étaient chères, comme la Lombardie et le Tyrol. La Prusse mutilée, et couverte de garnisons française, était à ses pieds ; la Russie, après avoir montré