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presque toujours pour découvrir l’origine des grandes améliorations introduites dans l’administration de la France depuis 1789, avait voulu répandre sur les finances publiques les lumières d’un contrôle intelligent. Elle avait jugé qu’à cet effet il fallait centraliser au trésor toutes les recettes et toutes les dépenses. Il y avait donc au trésor un caissier central qui était réputé tout recevoir et tout payer sur l’étendue entière de la France, il était supposé présent en tous lieux, et à ce titre il était comptable de tout ; mais il restait à prendre des dispositions qui de cette fiction fissent une réalité, et c’est ce dont une bonne comptabilité pouvait seule fournir le moyen. Lorsque M. Mollien arriva au trésor, le caissier central, qui était l’œil du gouvernement, ne savait rien, ne s’apercevait de rien, non qu’il manquât d’aptitude ou de bonne volonté, mais c’était l’effet nécessaire du mauvais mécanisme qu’il avait dans les mains ; il ne soupçonnait même pas l’existence du détournement de 142 millions dont le trésor était la victime. Ses écritures étaient en règle et son compte des recettes équilibrait celui des dépenses ; mais cette règle et cet équilibre, par le vice de la méthode suivant laquelle les écritures étaient tenues, ne signalaient rien de la vérité.

Le système des écritures en partie double, exclusivement employé de nos jours par le grand commerce, est, je l’ai déjà dit, un mode de comptabilité qui répand la plus vive lumière sur toutes les opérations de finances. Il apporte avec lui l’ordre et la clarté, il analyse tout, il mentionne le mouvement de toutes les valeurs avec précision, il indique l’instant et le lieu aussi bien que l’importance de tous les actes. Il offrait donc le talisman d’où dépendait la sûreté du trésor. À plusieurs reprises, sous l’ancien régime, on avait eu l’idée de s’en servir dans les finances françaises ; mais la mollesse des uns et l’intérêt que d’autres, désireux de pêcher en eau trouble, avaient à ce que la comptabilité publique ne devînt pas transparente, avaient toujours empêché que l’idée n’eût de la suite[1]. M. Mollien, qui avait déjà éprouvé à la caisse d’amortissement l’excellence de la comptabilité commerciale, l’introduisit à la caisse de service. Il profita pour cet objet de la longue absence que fit l’empereur pendant les campagnes de Prusse et de Pologne. Retenu à l’extrémité de l’Europe par les soins de la guerre. Napoléon alors, sans

  1. Forbonnais rapporte que, sous Henri IV, un habitant de Bruges, Simon Stevin, était venu proposer à Sully d’appliquer ce système à la comptabilité publique, mais que Sully ne donna pas de suite à la proposition. Pendant la minorité de Louis XV, la même pensée se reproduisit Elle fut adopée en principe, mais il ne paraît pas qu’elle fut sérieusemeat mise à exécution ; du moins il n’en était pas resté de trace. Le duc de Noailles, qui présidait le conseil des finances, tenant lieu de ministre, prit cette amélioration fort à cœur, et avait fait rendre à cet effet un édit en juin 1716. (Voyez les Recherches et Considérations sur les Finances, par Forbonaais, tome II, page 429.)