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l’état en approvisionnemens de tout genre pour les armées, avances qui constituaient un service distinct de celui de la négociation des valeurs, et qu’on ne leur remboursait pas.

Au nom des négocians réunis, ou en son nom propre, M. Desprez faisait argent des valeurs du trésor en les cédant à tout prix, dans sa position désespérée. Il résulte des relevés présentés plus tard par la société que les frais de ces négociations étaient montés à la somme incroyable de 43 millions. Procéder à de telles conditions, c’était courir à une perte certaine. Ouvrard sentait bien, lui qui était partisan enthousiaste du crédit public, qu’un emprunt fait par l’Espagne lui rendrait à lui-même les plus grands services. Il avait donc couru en Hollande pour cet objet, était entré en négociation avec la maison de banque Hope, la plus renommée d’Amsterdam, et en avait obtenu une première somme. De là il était retourné à Madrid, où il avait ajouté de nouveaux fleurons à sa couronne d’entrepreneur général, de nouveaux titres à la confiance des capitalistes. Il avait obtenu la ferme des mines de mercure et la fourniture des tabacs à la ferme-générale. Mais pendant ce temps, la guerre s’était allumée entre la France et l’Autriche, et les embarras du trésor, qui avait à subvenir à un surcroît de préparatifs, étaient devenus extrêmes. À la recommandation pressante du ministre, la Banque de France acceptait toutes les valeurs que lui apportait M. Desprez, et dont une partie était formée des engagemens personnels de ce financier. En retour, elle lui donnait des billets de banque, et ainsi tous les canaux de la circulation étaient encombrés de ces billets. Comme il arrive nécessairement quand la masse de ces signes excède les besoins des affaires, le public les rapportait à la Banque pour les échanger contre des espèces, et l’encaisse métallique de la Banque s’évanouissait à vue d’œil. Des attroupemens de porteurs de billets, avides d’en obtenir l’échange, se formaient autour de l’hôtel de la Banque, et la police craignait que la paix publique n’en fût troublée. En même temps que M. Desprez épuisait la Banque de France, il retirait des caisses des receveurs-généraux tout l’argent qui s’y versait : M. de Barbé-Marbois lui en avait donné l’autorisation. Il en résultait que lorsque la Banque présentait aux recettes générales les obligations que M. Desprez lui avait fait escompter, elle n’y trouvait plus, au lieu d’espèces, que les bons de M. Desprez. Ce n’était pas avec ce papier qu’elle pouvait satisfaire les porteurs de ses billets. La Banque poussait des cris de détresse, et dissimulait par des artifices assez grossiers la nécessité à laquelle elle était réduite, de suspendre le remboursement des billets en espèces. Le conseil de gouvernement que l’empereur avait laissé derrière lui à Paris perdait la tête. Pour achever la ruine des projets d’Ouvrard, la caisse de consolidation de la dette publique d’Espagne,