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Charles IV était d’une durée trop indéterminée ; elle devait cesser avec la guerre. De vastes opérations de commerce veulent avoir devant elles un espace plus certain, et il eût mieux valu stipuler que la société commencerait à la paix, car avec la guerre elle était du succès le plus problématique. Au contraire, en se réservant la faculté d’y donner une part au commerce anglais, on se ménageait un moyen de négocier la paix. À ces observations, on peut répondre que le traité du 26 novembre 1804 n’était qu’un premier jet, et que plus tard, bientôt, on y eût apporté toutes les améliorations désirables. En résumé, s’il est vrai qu’une transaction financière qui se fût bornée aux mesures nécessaires pour faire sortir les piastres des ports de la Vera-Gruz et de Porto-Bello eût soulevé infiniment moins d’objections, reste pourtant que, quelque gigantesques proportions qu’Ouvrard eût données à son programme, l’objet qu’il se proposait n’avait rien que de louable, rien que d’avantageux à la France et à l’Espagne, et que, sous la réserve de quelques modifications, il n’était point impraticable, pourvu toutefois que le puissant empereur des Français condescendît à faire sien un projet émané d’un homme qu’il n’aimait pas et dont il se défiait, un plan dont il n’avait pas reçu communication, et qu’on lui avait caché jusqu’au dernier moment.

Cependant les événemens se pressèrent plus qu’Ouvrard ne l’avait supposé, les incidens financiers survinrent et engendrèrent des difficultés inextricables pour un ministre tel que M. de Barbé-Marbois, qui ne brillait point par la dextérité. Au milieu de la crise, le plan d’Ouvrard ne pouvait manquer de tomber en éclat, et c’est ce qui arriva.

Pour l’accomplissement de ses desseins, Ouvrard, par lui-même ou par M. Desprez, avait puisé à pleines mains dans les coffres du trésor français. Quand il avait donné à M. de Barbé-Marbois 32 millions en échange des traites du gouvernement espagnol, c’était là qu’il les avait pris. Quand il avait acheté des blés pour le compte de la ville de Madrid, c’est de là qu’il avait tiré la somme nécessaire. Quand il s’était chargé du service des armées de terre et de mer de l’Espagne, c’est toujours avec l’argent de la France qu’il avait pu y subvenir. Quand il avait patroné diverses entreprises ou sociétés, jusques et y compris une compagnie des Philippines, c’était encore avec les fonds du trésor de la France. Les associés battaient monnaie tant bien que mal, à Paris, avec les obliqations et les bons à vue qu’ils prenaient dans le portefeuille de M. de Barbé-Marbois ; ils s’en étaient procuré la clé, par un procédé qui rappelait le temps de Barras, en achetant à prix d’argent le secrétaire du ministre abusé. Toutes leurs ressources personnelles, qui cependant étaient grandes, étaient absorbées de longue main par les avances qu’ils faisaient à