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vrard et Cie c’est-à-dire qu’Ouvrard en était le seul gérant. Il était autorisé, pour le compte de la société, à introduire dans toutes les colonies espagnoles du Nouveau-Monde autant qu’il le voudrait de marchandises et de denrées, et d’en exporter, pendant le même laps de temps, toutes les productions, et spécialement les matières d’or et d’argent. Sa majesté catholique s’obligeait à mettre à la disposition de la société toutes les licences nécessaires pour l’expédition des bâtimens d’Europe en Amérique, conformément aux indications données par Ouvrard. Ce traité marchait de pair avec un autre par lequel Ouvrard était chargé de faire des emprunts pour la caisse royale de consolidation de la dette espagnole.

En exécution de ces traités, Ouvrard devait recevoir et reçut des traites d’un montant de 52 millions et demi de piastres, qui, à 5 francs 41 centimes, représentaient une valeur de près de 300 millions[1]. C’était le lest qui devait soutenir son navire et qui pouvait le sauver, à la condition qu’on parvînt à faire promptement sortir du Nouveau-Monde les piastres que ces traites représentaient ou seulement une bonne partie.

En même temps des ordonnances royales, convenues avec lui, devaient opérer en Espagne un grand nombre de réformes qui auraient réveillé l’agriculture et l’industrie manufacturière, développé la richesse du pays, et par conséquent donné une grande consistance aux finances de l’état. D’après les détails consignés dans les Mémoires d’Ouvrard, ce n’était rien moins qu’une révolution semblable à la nôtre de 1789, mais accomplie sans violence ni secousse, par l’initiative de la royauté. C’est ainsi qu’une partie[2] des biens du clergé devait être vendue, et remplacée entre les mains des communautés religieuses ou des fabriques par des rentes sur l’état, inscrites au grand livre de la dette publique. Le pape Pie VII, alors auprès de l’empereur, y avait donné son assentiment.

On peut critiquer Ouvrard de n’avoir pas restreint ses projets à des proportions beaucoup moindres, d’avoir supposé qu’il pouvait tenir en sa main tout le commerce d’importation et d’exportation des immenses contrées de l’Amérique espagnole, et c’était trop de présomption à lui d’aspirer à l’honneur d’être tout seul le réformateur et le bon génie de la monarchie espagnole. Il était téméraire de former de pareils desseins sans s’être assuré de l’assentiment de l’empereur. La partie du projet qui concernait les colonies espagnoles en Amérique avait un grand défaut : la convention passée avec le roi

  1. C’est la somme indiquée par M. Ouvrard dans ses Mémoires. Il y a lieu de douter fortement que la cour d’Espagne eût, à elle appartenant, dans ses colonies, une somme aussi importante.
  2. Ouvrard dit même dans ses Mémoires la totalité, y compris les propriétés cléricales sises en Amérique ; mais c’est une exagération.