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Saint-Pétersbourg, une cafetière à esprit de vin, et beaucoup d’autres objets du même genre ; mais Vladimir eut le bon esprit de refuser. Le capitaine l’engagea à relire l’instruction pour le tir des mortiers et à prendre une copie de la table des angles d’inclinaison qui s’y trouve. Il s’empressa de suivre ce conseil et reconnut avec bonheur que le trouble, dont il n’avait pu se défendre quelques instans auparavant, commençait à se dissiper. Au moment où le soleil venait de se coucher derrière la caserne Nicolas, un sergent vint lai annoncer que le détachement était prêt et qu’on l’attendait.

« — J’en ai donné la liste à Vlang, ajouta-t-il, votre honneur peut la lui demander.

« Une vingtaine d’artilleurs en tenue de service étaient réunis près de la maison. Le jeune sous-lieutenant s’approcha d’eux, il ne savait comment les aborder et songeait à leur adresser un petit discours ; mais il changea d’avis et se borna à leur crier, suivant l’usage militaire : « Bonjour, mes enfans ! » Les soldats répondirent gaiement à cette formule amicale que le jeune homme prononça d’une voix argentine. On se mit en marche, et notre jeune homme s’efforçait de faire bonne contenance, quoique son cœur battît comme s’il venait de suivre un cheval à la course. Lorsque le détachement commença à s’élever sur la pente de Malakof, les bombes et les boulets tombèrent autour d’eux de tous côtés, et Vlang, qui avait montré tant de résolution au moment du départ, inclinait à chaque instant sa tête et paraissait beaucoup moins belliqueux. Quelques-uns des soldats en faisaient autant, et presque tous montraient une sorte d’inquiétude. Cette remarque, au lieu d’agir d’une manière fâcheuse sur Vladimir, redoubla au contraire sa résolution ; il comprit que l’épaulette lui imposait de montrer l’exemple.

« Lorsqu’ils arrivèrent à la batterie de Kornilof, la nuit était profonde. On ne distinguait les objets environnans qu’à la lueur des coups de canon et des éclats de bombe. Une scène bien triste vint frapper les yeux de notre jeune officier pendant qu’il cherchait le commandant du bastion. Quatre soldats s’approchèrent de l’épaulement ; ils portaient par les bras et les pieds un cadavre couvert de sang, et, après l’avoir balancé pour lui donner un élan, ils le jetèrent par-dessus le parapet. On en agissait ainsi depuis que le bombardement avait commencé, parce qu’il était impossible d’enterrer tous les morts et qu’ils gênaient le service des pièces. Ce triste spectacle émut profondément Vladimir ; mais l’arrivée du commandant vint le distraire. Celui-ci donna l’ordre de conduire le détachement à la batterie et au blindage pour lesquels il était commandé. Une grande déception y attendait notre novice ; au lieu d’y trouver des pièces comme celles qu’il avait manœuvrées à l’école, il reconnut que l’un des deux mortiers qu’on lui remit avait été touché par un boulet, et que la plate-forme du second était endommagée. Il demanda des hommes pour la réparer ; mais on n’en avait pas. Cependant il se mit bravement à l’œuvre, et les choses marchèrent mieux qu’il ne l’espérait, si ce n’est toutefois que deux de ses soldats furent blessés presque à ses côtés. »


Après les heures de service passées sur le bastion viennent les heures de repos, si l’on peut appeler ainsi les courts instans que les