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de cette curiosité pénétrante qui s’était déjà révélée dans la Coupe de Bois et dans l’Expédition. Cette fois, l’exemple donné par M. Tolstoï a été suivi[1]. A côté de ses esquisses demi-historiques, demi-romanesques, ou a vu même se produire des confidences recueillies sous la tente, telles que les souvenirs des campagnes de Turquie et de Crimée publiés par M. Sokolski. Tenons-nous-en d’abord aux récits de M. Tolstoï, et opposons l’exaltation des marins russes pendant les premiers jours du siège à la morne attitude des soldats pendant les dernières heures de la lutte. Plaçons-nous à Sébastopol en décembre 1954 avant d’entrer à Sébastopol en août 1855 ; c’est dans le bastion no 4, au milieu des matelots russes de la Mer-Noire, que nous conduit M. Tolstoï.


« À peine a-t-on mis le pied sur la plate-forme, que l’acharnement de la lutte s’y révèle dans toute son horreur. La plate-forme est hérissée de pièces à feu, et les intervalles qui séparent les fossés et les palissades qui les coupent sont couverts de gabions remplis de terre. À quelques pas de vous est un groupe de matelots qui jouent aux cartes contre le parapet ; plus loin, un officier de marine est nonchalamment appuyé en fumant contre un affût, et s’il reconnaît en vous un nouvel arrivé, il s’empresse de vous montrer tous les détails de son mélange. C’est avec la plus parfaite tranquillité qu’il vous promène ainsi, et pourtant, il ne faut point l’oublier, des boulets passent à tout instant au-dessus des bastions. Pour peu que vous pressiez un peu votre obligeant cicérone, il vous contera qu’au bombardement du 5, il ne lui restait plus qu’une seule pièce en état de service et huit hommes valides. Une seule bombe qui était tombée sur le réduit des matelots avait tué onze hommes. Cependant le 6 toutes ces bouches à feu étaient en état et avaient recommencé à foudroyer l’ennemi. En approchant d’une embrasure, vous voyez une ligne blanchâtre : ce sont les tranchées ennemies ; une distance de trente sagènes au plus les sépare du bastion. Mais des balles viennent de siffler à vos oreilles, et l’officier vous engage à vous retirer. Puis, se tournant vers ses hommes : « Envoyons-leur de nos nouvelles, dit-il avec calme. Les servans au numéro… ! » Une douzaine de matelots se lèvent à l’instant même et se dirigent gaiement, en fourrant leurs pipes dans leurs poches ou en

  1. Si nous voulions étudier sous toutes ses formes la littérature militaire en Russie, nous aurions à y constater depuis quelques années un développement assez remarquable. Cette littérature compte des recueils périodiques nombreux et variés. L’un de ces recueils porte le titre de Lectures pour les soldats, et ce n’est pas le moins intéressant. On en jugera par la table des matières de l’un des numéros que nous avons sous les yeux. La voici : De la Lecture des Saintes-Écritures. — Une Expédition chez les Avars. — Des cinq parties du Monde. — De la Désertion. — Le soldat en congé temporaire. — La Prise d’Ismaïl en 1790. — Des Armes à feu portatives. — Comment vivent les soldats agriculteurs dans la Russie centrale. — Moyens de sécher le foin. — Culture et conservation des pommes de terre. Indépendamment des recueils spécialement consacrés, comme celui-ci, à des questions qui intéressent l’armée, la plupart des autres journaux publient souvent des articles et des nouvelles que l’on peut classer dans la même catégorie.