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cette concentration de nouveaux élémens de force et de sécurité. Les fusions ont en effet pour résultat de diminuer un grand nombre de dépenses générales qui ne varient guère, quelle que soit l’étendue d’une exploitation. L’emprunt vient en aide aux compagnies d’une autre manière : il leur permet d’augmenter leurs ressources sans émettre de nouvelles actions; les compagnies ont largement usé de ce moyen. Autant on avait été jadis parcimonieux dans l’émission des obligations, autant on en a été prodigue. La somme actuelle des emprunts à rembourser par les chemins de fer va de douze à quinze cents millions de francs, et ces placemens en sont venus à faire une redoutable concurrence aux fonds publics. C’est une sorte d’institution nouvelle qui a pris place dans notre système financier, et dont il faut juger la portée.

Reconnaissons d’abord que la faculté d’emprunter est en elle-même un avantage pour les compagnies. En empruntant, elles ont en vue de se réserver à elles-mêmes une plus large part dans les bénéfices de leur exploitation. Si elles trouvent par exemple, moyennant un intérêt de 5 pour 100, des fonds qui rapporteront entre leurs mains 8 ou 10, leur profit est évident. Mais l’emprunt serait un déplorable calcul s’il était contracté à des conditions qui ne laisseraient pas un excédant après l’intérêt payé aux prêteurs, ou bien encore si la faculté de se procurer des fonds par cette voie poussait, comme la crainte en a été quelquefois exprimée, à l’exagération des dépenses. Ce n’est pas seulement la somme de ses emprunts qu’il faut considérer pour apprécier l’état financier d’une compagnie, mais le degré d’utilité de l’emploi qu’elle a fait de la somme empruntée et l’importance des résultats qu’elle s’est assurés pour l’avenir[1]. L’emprunt cependant doit avoir des limites, et il deviendrait un danger dès qu’il serait trop disproportionné avec le capital provenant des actions. Après avoir singulièrement facilité l’essor des compagnies, la faculté d’emprunter pourrait devenir, par suite de l’usage qui en aurait été fait, une source d’inquiétude et de mécomptes. Ajoutons que dans des circonstances critiques, où les créanciers menaceraient d’absorber tous les produits de l’exploitation, le désir d’assurer un dividende quelconque aux actionnaires serait de nature à produire des abus de plus d’un genre. Pour ne pas risquer d’embarrasser l’avenir, les emprunts ne devraient point dépasser la somme versée par les actionnaires. Ainsi une compagnie qui aurait en actions un capital de 50 millions pourrait y ajouter 50 millions

  1. Les compagnies ont aujourd’hui l’habitude d’augmenter le capital versé par les prêteurs. Ainsi, pour une somme de 285 fr., elles promettent, outre 15 fr. d’intérêt, — ce qui est un peu plus de 5 pour 100, — un remboursement de 500 fr.; elles associent ainsi le préteur à la fortune croissante sur laquelle elles comptent elles-mêmes, mais sans l’associer aux chances de perte.