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L’obstacle à la réalisation de tout le bien désirable et possible est évident. La tendance essentielle de toute exploitation commerciale privilégiée n’est pas de se demander comment elle pourra rendre le plus de services, mais comment elle réalisera le plus de profits tout en se donnant le moins de peine possible. Disons le mot : s’il faut se creuser la tête pour trouver des améliorations, ou si, pour les réaliser, il faut accroître sa besogne, le monopole s’abstiendra presque toujours. Les vrais mobiles manquent pour le pousser en avant. En voici la preuve, et une preuve frappante, dans ce qui s’est passé pour les voyageurs : la volonté de réduire les prix s’est amoindrie chaque jour de plus en plus. Là où l’on avait abaissé les tarifs, on est revenu aux taxes primitives[1]. Les chemins de fer ne rempliront cependant leur mission sociale dans toute sa grandeur qu’en marchant résolument dans la voie des réductions[2].

Voyons si sur un autre point, l’organisation même des trains de voyageurs, les compagnies ne s’écartent pas également des dispositions réclamées par l’intérêt public. Un premier fait frappe les yeux, à savoir la peine extrême qu’on se donne pour détourner les voyageurs de prendre les voitures les moins chères. On déploie dans cette

  1. Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin chercher des exemples; on peut les prendre sous les yeux de tout le monde, dans le groupe des lignes desservant les environs de Paris, dans ces chemins qui permettent à la population parisienne d’échapper à l’atmosphère de la grande cité et d’aller respirer l’air des champs. Il y a quelques années, deux compagnies, comprenant ce besoin, avaient voulu y donner satisfaction. Le chemin de Saint-Germain avait abaissé ses prix de 1 fr. 25 cent, à 75 cent., et le voyage pouvait même se faire, en prenant un billet de retour, pour 1 fr. 25 cent, au lieu de 2 fr. 50 cent. Le chemin de Versailles conduisait les voyageurs jusqu’à Saint-Cloud pour 25 cent. De ces réductions si propres à accroître le nombre des promeneurs, il ne reste que le souvenir.
  2. Il convient de rappeler qu’en ce qui concerne les voyageurs les tarifs sont généralement moins élevés sur le continent européen que chez nous. En France, la taxe est fixée à 10 centimes par kilomètre pour les voitures de 1re classe, 7 cent. 1/2 pour les voitures de 2e classe, 5 cent. 1/2 pour les wagons de la dernière catégorie, non compris l’impôt du dixième. En Belgique, le tarif, qui a été remanié en 1851, est seulement de 8, 6 et 4 centimes. En Allemagne, les chiffres varient souvent d’état à état, mais ils sont encore en moyenne moins forts qu’en Belgique.