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II.

Le système de l’exploitation des chemins de fer par des compagnies tend à prévaloir de plus en plus chez les différens peuples. Ce fut dès l’origine le système américain et anglais, mais il a gagné du terrain. Depuis les vastes concessions faites par l’Autriche et malgré des exceptions nombreuses qui subsistent encore au-delà du Rhin, il semble destiné à devenir celui de l’Europe continentale. En Belgique même, où le faisceau primitif est toujours entre les mains du gouvernement, l’étendue des chemins appartenant à des sociétés particulières s’est considérablement augmentée, tandis que le réseau de l’état est à peu près demeuré stationnaire. En France, la gestion par l’état n’a été que temporaire et exceptionnelle. De même que nous avons approuvé dans nos précédentes études la large part attribuée à l’industrie privée dans l’exécution des chemins de fer, de même nous croyons que l’exploitation se trouve encore aujourd’hui mieux placée entre les mains des compagnies que dans celles de l’administration. Outre qu’elle serait plus coûteuse, l’exploitation par l’état offrirait de graves inconvéniens sous le rapport de la responsabilité. Ici d’ailleurs les compagnies, tout en représentant en une certaine mesure l’intérêt privé, sont appelées à représenter davantage encore l’intérêt général. L’action directe qu’elles exercent sur les mouvemens de la vie publique les constitue en quelque sorte les auxiliaires du gouvernement. Plus on apprécie leur rôle, et plus on doit comprendre combien il est nécessaire de prévenir ou de faire disparaître les causes qui seraient de nature à en compromettre l’accomplissement.

Or, dans l’état des choses, avec le régime légal en vigueur, existe-t-il des abus? Sans préjuger la question, nous devons reconnaître qu’il y a dans le public, depuis quelque temps, une visible tendance à se plaindre des compagnies. Voyageurs et expéditeurs de marchandises, il semble que les uns et les autres soient fréquemment blessés ou dans leurs susceptibilités ou dans leurs intérêts. Serait-ce que le public est trop exigeant, et méconnaît les nécessités inhérentes à d’aussi vastes services? Au lieu de jouir tranquillement du bien qu’il possède, s’abandonne-t-il trop à l’insatiable désir du mieux? Est-ce au contraire aux compagnies qu’il faut imputer des torts réels? Ont-elles à se reprocher des négligences regrettables, des calculs trop étroits, trop d’arbitraire ou d’âpreté? Voilà ce que nous voudrions rechercher.

Que l’exploitation des chemins de fer par l’industrie doive rester subordonnée aux exigences de l’intérêt général, c’est un principe évident; mais l’exemple de nos voisins d’outre-Manche pourrait servir à démontrer combien il importe de l’entourer de garanties