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seraient point surmontées sans effort ; mais ces difficultés sont venues plus vite qu’il n’était possible de le prévoir. Le besoin d’éclaircissemens apparaît chaque jour davantage. Une vaste carrière s’ouvre donc aux investigations, et l’intérêt public appelle à l’étude tous les esprits qui ont le désir de voir s’améliorer ces voies nouvelles de la civilisation. Puisque la question est commune sous beaucoup de rapports à la plupart des pays de l’Europe, il est indispensable de préciser les caractères de l’ère actuelle au point de vue européen avant d’examiner notre propre système d’exploitation.

À vrai dire, ce n’est pas le développement qu’ont pris les chemins de fer dans chaque pays qui forme le trait distinctif de cette situation. Un fait plus considérable frappe les yeux. Je veux parler de la formation de ces lignes appelées internationales, comprenant les voies ferrées d’états divers et ne faisant plus de chacune d’elles que les rameaux d’un tronc commun. L’union entre les voies ferrées des différentes nations constitue un gage puissant de cette solidarité qui tend de plus en plus à s’établir entre elles.

Une distinction essentielle doit être faite néanmoins pour les deux peuples qui avaient devancé tous les autres dans le champ de ces constructions, le peuple anglais et le peuple américain. Aux États-Unis et en Angleterre, l’œuvre accomplie, quelle qu’en soit la grandeur, est une œuvre purement nationale. L’aspect du groupe américain n’est pas même modifié par cette circonstance, que les chemins de la confédération se relient du côté du nord à ceux du Canada. D’ailleurs pour les États-Unis l’isolement n’a rien d’inattendu. Transplanté sur ce sol lointain, le rameau détaché de la souche européenne y obéit dans son développement à des lois particulières. La terre où il a pris racine lui fournit une sève inépuisable qui, malgré la prodigieuse rapidité de son essor, conserve toute son énergie. Doué d’une aptitude singulière pour refouler devant lui la solitude, le peuple américain est investi d’une mission évidente pour la civilisation ou plutôt pour l’exploitation du Nouveau-Monde. Il est seul en face de cette grande tâche. Son activité est moins étroitement liée que celle du peuple anglais à la destinée des autres pays civilisés. Ainsi la construction des chemins de fer, qui ne change rien aux relations de l’Europe et des États-Unis, vient ajouter au contraire des traits différentiels assez accentués à ceux qui existaient déjà entre le continent et les îles britanniques. Les rapports internationaux n’existent pas, au moins d’une manière directe, pour les railways d’outre-Manche[1]. Qu’importent à l’Angleterre la plupart des

  1. On a parlé de la création d’un chemin de fer sous-marin entre Calais et Douvres, à l’aide duquel les lignes anglaises se trouveraient réunies aux lignes continentales. Il suffirait, dit-on, de sept années et de 150 millions de francs ; mais ce projet est encore trop chimérique pour entrer en ligne de compte.